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La Tribune - La loi selon Vitality

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NDLR : Si vous nous lisez depuis quelques temps, vous connaissez déjà certainement les articles intitulés "Blog de la rédac" qui traitent un sujet avec la volonté d'ouvrir au débat dans les commentaires. Les articles "La Tribune" poursuivent un but similaire, en mettant en avant un texte subjectif, écrit cette fois-ci par quelqu'un d'extérieur au staff VaKarM. À l'avenir, si vous avez l'envie de nous faire parvenir une réflexion poussée sur un sujet qui vous tient à coeur, n'hésitez pas à contacter un membre du staff via message privé ou par Twitter.

Article proposé et rédigé par Philippe "faculty" Rodier. Un grand merci à lui !

Aux armes, citoyens

C’était le 8 octobre 2018, après de longues rumeurs intensives et d’attentes de voir Vitality (1ère structure esportive tricolore) rejoindre Counter-Strike, la fameuse Ruche recrutait Vincent "Happy" Cervoni, Nathan "NBK" Schmitt, Dan "apEX" Madesclaire, Cédric "RpK" Guipouy et Mathieu "ZywOo" Herbaut. Autour de cette composition, l’espoir était immense et à juste titre : des vainqueurs de Major, de l’expérience ainsi qu’un jeune rookie que tout le monde attendait comme le futur meilleur joueur du monde. En vérité, il ne manquait plus qu’une pièce maîtresse pour donner un nouvel élan à ce projet. Elle arrivera quelques semaines plus tard.

Le 23 novembre de cette même année, aux côtés de Alexandre "Zuper" Gillet, Rémy "XTQZZZ" Quoniam faisait donc son apparition au sein du projet et allait hériter des rênes de l’équipe en cohabitation avec le capitaine de cette époque, NBK. Dans les faits, un vrai cerveau capable de métamorphoser le jeu de cette équipe et de l’élever à un niveau encore jamais atteint. S’en suivra un mois plus tard et, à l’approche du Minor (l’objectif premier de cette équipe), le départ d’Happy, qui n’aura jamais réussi à atteindre le niveau espéré au sein de cette équipe.

Membre originel de la formation, Happy n'a pas survécu à l'arrivée d'XTQZZZ fin 2018 (crédit : DreamHack)

Il est remplacé par Alex "ALEX" McMeekin qui avait déjà prouvé de très belles choses chez LDLC sous la coupe de Steeve "Ozstriker" Flavigni (notamment durant les IEM Chicago 2018), toujours coach de l’équipe LDLC aujourd’hui. Sans contestation possible (et même si la composition précédente avait déjà soulevé un modeste trophée pour sa première sortie officielle, la DreamHack Atlanta 2018), il s’agissait d’un choix audacieux à l’approche du Minor. Un choix risqué certes, mais un choix payant donc.

Après notamment un BO3 de folie face à Valiance (huNter, LETN1, nexa, ottoNd, EspiranTo), Vitality décrochait ainsi son billet pour la plus prestigieuse des compétitions de l’année, les IEM Katowice 2019, l’équivalent du fameux Major. Même si l’arrivée d’ALEX allait amenuir progressivement l’impact de NBK au sein de cette équipe, Vitality était donc sur le bon chemin pour rejoindre l’élite mondiale. Malheureusement, pour sa première participation au fameux Major, à Katowice, l’équipe échouera durant le Legends Stage, en 2-3, avec un rang relativement maigre aux regards des ambitions de la structure (9/11ème, aux côtés de Cloud9 et AVANGAR). Cette année, Astralis marchait encore sur le toit du monde et s’imposait en finale face aux surprenants Finlandais d’ENCE.

Peu de temps après, Alexandre "Zuper" Gillet allait être remercié après un travail conséquent de management au sein de la structure et Matthieu Péché (six fois champion du monde, double champion d'Europe et triple champion de France de canoë-kayak slalom avec son coéquipier Gauthier Klaussmonde) remplaçait l’ancien caster phare de l’ESL au mois de juin 2019. Un choix logique au regard de l’ambition de Vitality d’établir des parallèles avec le milieu du sport et de passer un "nouveau message" auprès des joueurs.

À Londres (et donc, à domicile pour ALEX), les Abeilles vont s’imposer lors des finales des ECS, bouclant leur parcours par un 2-0 contre FURIA. Encore aujourd’hui, tout le monde se souvient de cette image d'ALEX arborant le drapeau anglais lors son entrée dans l'arène. En l’espace de peu de temps, l’équipe atteint le second rang mondial et confirme ainsi ses ambitions de jouer un rôle majeur sur la scène Counter-Strike.

Victoire de prestige pour Vitality lors des finales ECS Season 7 (crédit : ECS)

Ainsi, une belle performance durant l’ESL Cologne (2ème, derrière Team Liquid) et une 3/4ème place aux IEM Chicago (derrière Liquid encore, et ENCE) pouvaient également laisser présager de belles choses pour le StarLadder Major Berlin à venir. Malheureusement, les conflits internes entre NBK et le reste du groupe, et le niveau de jeu affiché par AVANGAR durant ce Major ne permettront pas à Vitality d’atteindre son plein potentiel et l’équipe s’arrêtera en 1/4 de finale, bien trop tôt dans la compétition pour une équipe de ce calibre.

Le 28 septembre 2019, NBK est donc remplacé par l’une des plus grosses stars francophones, Richard "shox" Papillon. Avec NBK, Vitality avait côtoyé les sommets du monde, mais comme l’expliquera par la suite XTQZZZ, la cohabitation entre les autres membres de l’équipe et le joueur le plus titré de l’histoire du CS français n’était plus vivable. Finalement, l’intégration de shox sera immédiate avec une 2ème place à la DH Masters Malmö, mais aussi, et surtout, une victoire de prestige durant l’EPICENTER 2019.

La fin de cette année 2019, on la connait : comme une évidence, ZywOo devient le meilleur joueur au monde. Le petit rookie a assumé haut la main son statut et les attentes placées en lui. Tout le monde l’attendait et il a répondu de la plus belle des manières.

L'année sans Major

Finalement, pour une première année sur Counter-Strike et à raison d’un lourd investissement financier, Vitality était parvenue à s’intégrer très rapidement parmi le gratin mondial, que ce soit avec NBK ou après son départ. Malheureusement (et après une légère dégringolade au ranking HLTV), à la surprise générale ou presque, au mois de mars 2020, ALEX va prendre la décision de prendre un break pour sa carrière.

"L'année dernière, nous avons voyagé pendant 36 semaines et c'était difficilement tenable pour moi", expliquait le principal concerné pour le quotidien L’Équipe à l’époque. "La professionnalisation du milieu fait que ce chiffre ne peut pas vraiment baisser. Le choix logique était de me retirer avant d'être trop épuisé pour produire le travail requis par cette profession, même si j'ai proposé de rester le temps qu'ils trouvent un remplaçant". C’est à cet instant que Kévin "misutaaa" Rabier va faire son entrée dans le projet Vitality.

Il est dégarni, charismatique et ses équipes jouent un jeu excitant. Assez pour faire d'XTQZZZ le Guardiola de CS ?

Avec lui, durant cette année 2020, et surtout grâce à l’apport d’XTQZZZ, le Pep Guardiola du CS français, Vitality va continuer à faire ce qu’il sait faire de mieux : jouer les premiers rôles sur la scène Counter-Strike. Il faut dire que, sur le serveur, le nouveau rookie a du talent à revendre et il apprend vite. Même très vite. Au mois de novembre, l’équipe remporte en ligne les IEM Beijing Europe (devant NAVI) et, à peine un mois plus tard, s’offre les Finales BLAST Premier Fall face à Astralis. Des performances en adéquation avec les ambitions de la structure. Après avoir tenu le rang de 1ère équipe mondiale durant un court laps de temps, Vitality termine finalement cette année 2020 derrière Astralis (avec 100 petits points d’écart). ZywOo est à nouveau élu meilleur joueur au monde.

En soi donc, encore un bel exercice dans une période impactée par la Covid-19 (et avec la tentative d’inclure un 6ème joueur dans ses rangs, Nivera). Une belle année, mais aussi une année sans Major.

En vouloir toujours plus

Après ces deux années d’ascension quasi constante, Vitality va vivre un début de saison 2021 relativement compliqué. D’une 2ème place mondiale, les Abeilles vont chuter jusqu’à la 13ème place du ranking HLTV. Des mots du coach, XTQZZZ : "On a subi des événements difficiles. Et puis, en général, on n'a jamais été très bon au début d'une saison. On a eu des méformes individuelles, des problèmes personnels... beaucoup de choses qui nous influencent quand elles sont mises bout à bout. Dans le contenu, nos tournois n'ont pas été si catastrophiques que ça. Ça s'est joué à des détails, comme à Katowice où on n'y arrive pas et on perd de justesse chaque match. Ça amène des doutes, de la perte de confiance chez tout le monde. On a aussi manqué cruellement de motivation ces derniers temps. On s'est lassé de jouer sur internet, de repartir de zéro pour la qualification pour le Major. L'équipe a du mal à reproduire cette rage et cette motivation qu'elle avait l'année dernière. Notre vrai problème, c'est qu'on a été un peu bouffé par l'extérieur, par cette situation compliquée avec la Covid-19, et qu'on a commencé à subir la situation au lieu de la contrôler".

Conséquence directe ? Véritable légende du jeu et membre de l’équipe depuis sa création, Cédric "RpK" Guipouy laisse sa place à une jeune pépite en la personne de Jayson "Kyojin" Nguyen. XTQZZZ toujours : "Jayson a la tâche de remplacer une légende de CS. C'est quelqu'un qui adore aller dans le combat mais en groupe".

Le défi devant cette photo ? Ne pas verser une petite larme.

La suite de cette histoire est connue de tous : hormis une 2ème place lors de l’ESL Pro League 14 ainsi qu’une qualification pour les Finales Fall des BLAST, Vitality va avoir beaucoup de mal à retrouver son niveau d’antan. Il faut dire que s’intégrer aussi rapidement parmi l’élite mondiale pour un jeune joueur comme Kyojin, arrivé avec, en plus, une mauvaise réputation, n’est pas chose aisée. Au PGL Major de Stockholm, l’équipe va décevoir dès le New Legends Stage avec une qualification acquise sur le fil face à la modeste équipe d’Entropiq. Et qui dit qualification difficile... dit hériter d’un prétendant au titre final dès les 1/4 de finale. Ce sera donc face à NAVI (meilleure équipe au monde), que Vitality jouera son avenir dans la compétition.

Dans les faits, Vitality ne réalise pas un mauvais match, mais sort après un cinglant 2-0 (16-11 / 16-13). Deux semaines plus tard, Vitality retrouve à nouveau NAVI pour les Finales des BLAST (deux nouvelles défaites, 2-0 en finale du winner bracket et 2-1 en grande finale). En soi, pas une mauvaise performance même si l'écart entre les deux équipes a parfois semblé relativement conséquent.

Aux finales BLAST Premier Fall, apEX a montré la voie face à un public hostile et tricheur (crédit : BLAST)

À vrai dire, on pourrait même se demander ce qu’aurait pu donner cette équipe avec un peu plus de temps (et pourquoi pas le remplacement d’un joueur en fin de saison). Mais depuis le Major, la nouvelle donnée est connue de tous également : d’un roster 100% tricolore, Vitality sera bientôt rejoint par le trio danois avec zonic, dupreeh et Magisk en provenance d'Astralis.

Le Major comme obsession

Neo, le patron de Vitality, n’a jamais caché son ambition de soulever un Major sur Counter-Strike. Depuis 2018 désormais, Vitality a porté le CS tricolore quasiment seul au mieux qu’il le pouvait. Et dans ces conditions, il paraît difficile d’en vouloir à une structure qui a dépensé beaucoup d’argent sur ce jeu. Telle est la loi selon Vitality aujourd’hui donc : trancher dans le vif, délaisser des joueurs qui ont porté ses couleurs avec fierté durant un long moment, se séparer d'un coach au travail inestimable et se porter à l'international.

Les dernières sorties en date de cette équipe se parachèvent donc avec une seconde place et de belles émotions lors des Finales BLAST Premier Fall, ainsi qu’une victoire aux IEM Winter. Désormais, il ne reste plus qu’à espérer que Vitality ait fait le bon choix avec ce recrutement danois.

Depuis l’extérieur (et parfois même, depuis l’intérieur grâce à certains documentaires), on a comme la sensation que le fameux Major représente une obsession permanente chez les dirigeants de plusieurs structures. Chez Vitality par exemple, il suffit d’écouter le discours du président, Neo, pour comprendre combien la victoire durant cette compétition semble tourner à l’obsession malgré le ranking actuel de l’équipe (2ème mondiale) et des performances plaçant Vitality comme l’une des meilleures structures sur ce jeu depuis ses débuts, le tout en rivalisant avec une équipe de NAVI pratiquement intouchable durant toute la saison : "J’attends beaucoup de ce Major, parce que c’est important pour moi que Vitality franchisse un cap. [...] Au-delà d’être compétitifs, il faut qu’on soit des vainqueurs. [...] On a construit ce projet pour gagner des Majors. Je le répéterai et je le martèlerai, je ferai tous les choix dans ce sens".

Ou encore : "Durant ce Major, il faut qu'ils [les joueurs] me montrent quelque chose, qu'il [ce Major] affirme quelque chose". Dans les faits, l’équipe avait déjà programmé ces changements à venir au sein de son équipe. Pour autant – et malgré cette obsession de soulever un Major donc –, il paraît difficile de reprocher à Vitality son ambition ou, du moins, sa franchise sur le sujet. Neo toujours : "C’est ma responsabilité d’emmener ce groupe-là ou ces deux joueurs [apEX et ZywOo] à gagner un Major à un moment donné. S’il faut faire des choix, assumer des choix dans cette optique-là, je le ferai".

S'il y a un coach qui peut être à la hauteur pour succéder à XTQZZZ, c'est bien zonic.

Si le timing des négociations entre le trio danois et Vitality peut paraître cruel, le sport de haut niveau ne rime pas nécessairement avec les sentiments et l’image dégagée dans la quête du plus prestigieux des trophées. Avec l’arrivée d’un nouveau coach en la personne de zonic, on pourrait se prendre à espérer que ZywOo franchisse un nouveau cap. Si la plus grande fierté tricolore sur ce jeu est parvenue à un tel niveau, elle le doit à son entourage, son coach, ses coéquipiers et le travail effectué par la structure à ses côtés. Mais rien ne dit qu’une telle sortie de sa "zone de confort" ne lui sera pas profitable sur le long terme. Neo encore : "ZywOo peut encore grandir, mais pour cela, il faut qu’il voit autre chose".

Au niveau du marketing, le choix est judicieux également puisqu’à l’inverse de la France, le Danemark représente l’un des pays phares sur ce jeu, et donc la possibilité d’accroître la notoriété de l’équipe sur ces terres est réelle. Certains diront que perdre notre plus grand représentant (100 % francophone) est une lourde nouvelle mais, au-delà d’être un club d’esport, Vitality reste une entreprise avec des comptes à rendre à ses investisseurs.

Interrogé au mois de novembre 2021, Amit Jain, l'investisseur principal du club, expliquait : "Nos partenaires mondiaux qui n'ont pas de présence en Inde aimeraient entrer sur le marché avec nous". Traduction... l’objectif est clair : faire rentrer les sponsors de Vitality sur le marché indien afin d’accroitre la notoriété du club (et celle de ces fameux sponsors par la même occasion), et dans cette optique, peu importe la nationalité des joueurs qui représentent ses couleurs. L’esport est un business, comme n’importe quel autre sport.

Vous ne l'aviez probablement jamais vu, mais voilà le type qui paye le salaire de ZywOo (crédit : esportsinsider)

Malgré cela, quand on regarde le sentiment d’unité qui se dégage entre les joueurs, le coach, le manager et l’analyste, ou encore shox prendre le temps de rassurer ses rookies avant les rencontres, l’envie de voir cette équipe avec plus de temps (avec pourquoi pas, un changement de joueur en fonction de l’évolution de l’équipe chez G2) pour augmenter son potentiel peut être compréhensible. Mais dans l’esport, comme dans le sport dit traditionnel, le temps est une donnée aléatoire : "S’il faut encore attendre deux ans pour potentiellement gagner un Major, je ne sais pas si c’est mon projet", précise Neo. "Je ne sais pas si j’ai cette patience-là [...] avec des incertitudes".

À New York, durant un dîner entre deux légendes, Garry Kasparov, considéré comme l'un des meilleurs joueurs de l'histoire du jeu d’échecs, avait justement confié à Pep Guardiola : "Ton plus grand ennemi Pep, c’est le temps". De douces paroles avec beaucoup de sens... Désormais, il ne reste plus qu’à espérer que Vitality ait fait le bon choix sur le plan sportif.

Sources :

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