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Histoire de loi : les obligations des organisateurs de lans
Qui dit tournoi dit cashprize ! Nous avions évoqué précédemment l’interdiction d’organiser des tournois en ligne payants, mais n’avions pas abordé la question du cashprize ni celle des formalités à effectuer pour les organisateurs.
Alors qu’il y a quelques années, la norme des lans françaises était de proposer des gains sous forme de lots (matériel informatique principalement), la quasi-totalité est désormais distribuée sous forme d’argent.
Avant l’entrée en vigueur de la loi pour une République Numérique en octobre 2016, les compétitions de jeux vidéo étaient sur le principe interdites car tombant sous le régime des loteries. Néanmoins, une tolérance existait tant que les compétitions restaient "loyales envers les joueurs".
L'appréciation de cette "loyauté" entraînait de fait une insécurité juridique : il suffit d'imaginer un organisateur de lan qui se mettrait à insulter des joueurs, ou qui ne reverserait pas le cashprize aux vainqueurs, et le caractère loyal de la compétition s’envolerait.
Il était donc nécessaire de prévoir un cadre législatif pour les compétitions de jeux vidéo et notamment pour les cashprizes. Ce cadre est intervenu avec la loi pour une République Numérique, suite à un processus d’adoption marqué par une grande évolution du texte, entre débats parlementaires et amendements.
Une adoption marquée par des changements
Un processus qui peut être long (cliquez pour agrandir)
Au commencement, il n’y avait rien, ou quasiment rien.
En effet, le projet de loi (à différencier d’une proposition de loi qui est déposée par les parlementaires) déposé par Manuel Valls, Premier ministre de l’époque, laissait le champ libre au gouvernement pour prendre des ordonnances afin d’encadrer les compétitions de jeux vidéo.
C’est l’Assemblée Nationale qui a modifié le texte afin de faire apparaître en premier lieu la nécessité d’un agrément pour les organisateurs, sans pour autant faire mention des cashprizes.
Chose intéressante, cette version, issue du Palais Bourbon, comprenait une liste de jeux susceptibles de faire l’objet de compétitions en lan, établie par un arrêté du ministre chargé de la Jeunesse. Malheureusement, du fait de la suppression de cette liste dans le texte final, elle n'a jamais vu le jour et nous n’aurons jamais le fin mot sur ces jeux autorisés en lan.
Ensuite, ce sont les sénateurs qui ont façonné le texte pour obtenir la version adoptée, avec l’insertion de dispositions relatives aux cashprizes et l’abandon du système d’agrément.
Ces changements ne sont ni anodins ni sortis du chapeau. Ils proviennent pour la plupart du rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo, du député Rudy Salles et du sénateur Jérôme Durain, qui a été communiqué entre temps.
Un tournant dans l'adoption du texte
Ce rapport faisait état de 14 propositions, allant du CDD esportif au visa des joueurs pros, en passant par la fiscalité des droits d’entrée des spectateurs de compétitions.
La proposition qui nous intéresse particulièrement ici est la première de ce document. Elle souhaitait exempter les compétitions de jeux vidéo de l’interdiction des loteries à laquelle elles étaient théoriquement soumises jusque-là. Plus précisément, l’idée était d’autoriser les compétitions physiques payantes lorsque les frais d’inscription demandés se limitent à une participation aux frais d’organisation.
Au sein du rapport, la fameuse proposition établissant une liste de jeux autorisés est critiquée du fait de la difficulté de le mettre en place. En effet, quels critères peuvent être pris en compte et comment faire le suivi de la multitude de jeux existants ? Aussi, certaines scènes esports se développent au fur et à mesure de la vie du jeu et des sorties de nouveaux titres, il est complexe de tenir une liste précise à jour.
En conséquence, il y a eu un passage d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration, sous conditions par lesquelles les organisateurs doivent déclarer au ministre de l’Intérieur, au minimum trente jours avant la date de début de la lan, la tenue de celle-ci.
Directement dans la boîte aux lettres de Darmanin
De plus, sont insérées des mesures concernant les cashprizes en énonçant que les lans ne sont pas considérées comme des loteries lorsque "le montant total des droits d'inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs n'excède pas une fraction, dont le taux est fixé par décret en Conseil d'État (le taux fixé est de 100 %), du coût total d'organisation de la manifestation incluant le montant total des gains et lots proposés. Ce taux peut varier en fonction du montant total des recettes collectées en lien avec la manifestation." (article L. 321-9 du Code de la Sécurité Intérieure)
La formulation est, on vous l’accorde, un peu alambiquée et n’aide pas à la compréhension.
Pour faire simple : dans le cadre d'une lan, le montant total des droits d’entrée engagés par les joueurs ne doit pas être supérieur au coût total de l'organisation de la lan. Il n’est donc pas possible pour l'organisateur de faire des bénéfices sur les participations des joueurs.
Le décret du 9 mai 2017 précise ce qui est entendu comme coût d’organisation : cela inclut notamment les dépenses liées au personnel, aux locaux, aux lots ou encore à l’achat de matériel.
L’objectif de cette limitation est double :
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Tout d’abord, faire en sorte que le modèle économique des organisateurs ne soit pas basé sur les participations des joueurs mais sur des sources alternatives telles que les recettes publicitaires, les sponsors ou encore la buvette.
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Ensuite, le législateur souhaitait que ces compétitions ne donnent pas lieu à des phénomènes d’addiction de la part de certains joueurs. Ce deuxième objectif est plus difficile à comprendre en raison du fait que le déplacement en lan est souvent un périple du fait de leur localisation, mais aussi du peu de lans où le matériel est fourni, ce qui n'incite pas vraiment au développement d'addictions.
Le système de déclaration
Un formulaire de déclaration de la lan doit donc être envoyé au ministère de l’Intérieur. Ce formulaire doit contenir des éléments relatifs à l’organisateur, à la compétition, aux spectateurs, à la retransmission ainsi qu’au cashprize.
De plus, lorsque le cashprize est supérieur à 10 000 € (coucou le Major parisien), il faut pouvoir en garantir le bon versement en justifiant de l’existence de la somme.
1 250 000 > 10 000
Et qu’en pensent les organisateurs de lans françaises ?
Du positif pour les intéréssés
Contrairement au CDD esportif, considéré comme un échec et issu de la même loi, les retours des organisateurs, qui sont les principaux concernés, sont positifs.
Nous en avons interrogé plusieurs et il ressort de leurs réponses qu’ils ont connaissance et effectuent la déclaration à l’administration. De plus, certains organisateurs nous ont rapportés que les services liés à cette déclaration étaient disponibles et bienveillants.
D’après d’autres, ce contrôle permet d’éviter les scams, notamment des cashprizes impayés.
Cependant, un bémol demeure : la difficulté, pour les organisateurs de lans, de répondre un mois en amont de leur tournoi aux questions relatives au nombre de participants et aux renseignements financiers. Ce délai apparaît comme très long et des éléments sur ces sujets ne sont alors pas encore clôturés pour certaines lans.
Nous sommes donc face à un système apprécié par les intéréssés. Alors pourquoi ne pas penser à une potientielle application dans le futur aux tournois en ligne payants ? Avec par exemple une liste d'organisateurs certifiés et un nombre limité de tournois ou d'inscriptions pour éviter les dérives et permettre un développement sain des compétitions de jeux vidéo sur Internet.