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G2 et la France, un amour de vacances
Après une performance en demi-teinte au Major de Berlin, les rumeurs annoncent avec insistance l’arrivée de nexa et hunter à la place de shox et Lucky chez G2. Une rupture après plus de 3 ans de compositions exclusivement francophones qui ont vu passer les plus grandes stars de notre scène. Si ces trois années ont connu quelques hauts et beaucoup de bas, c’est au coeur de l’année 2016 que G2 et la France sont véritablement tombées en amour, portées par un duo inarrêtable, quelques vétérans expérimentés et un jeune joueur peu connu du grand public. Une histoire toute en intensité, talent individuel et conflits interpersonnels larvés ; une histoire très française donc.
Début 2016, la scène française est dans une période difficile. Pourtant, quelques mois plus tôt, EnVyUs gagnait facilement le Major de Cluj-Napoca, s’imposant comme la meilleure équipe du monde. Mais, rapidement, les problèmes qui existaient avant la compétition refont surface et l’équipe s’enfonce alors que le lead de Vincent "Happy" Cervoni est de plus en plus contesté. Le recrutement de Timothée "DEVIL" Démolon ne fera qu’aggraver les problèmes et EnVyUs rate complètement son année, éclipsée par une équipe que personne n’attendait.
Relancer la machine
Dès le mois de janvier, Titan, structure maudite malgré d’immenses promesses entrevues, met la clé sous la porte. Une semaine plus tard, Carlos “Ocelote” Rodriguez Santiago, propriétaire de G2 Esports, vend son équipe CS:GO, demi-finaliste du Major Cluj-Napoca, à FaZe Clan. Flairant la bonne affaire, il acquiert gratuitement les ex-Titan, une équipe bloquée aux portes du top 10 monde à la fin de l’année 2015. Au lead, Kévin "Ex6TenZ" n’a plus le lustre d’antan et n’arrive plus à faire briller ses joueurs. A ses côtés, Cédric "RpK" Guipouy est encore dans une phase de redécouverte du jeu alors que Richard "shox" Papillon et Edouard "SmithZz" Dubourdeaux se remettent difficilement de leur exclusion d’EnVyUs. L’équipe arrive à la MLG Colombus avec peu de références et sort piteusement du Major après deux défaites contre Virtus.Pro en poules.
Comment oublier cette image mythique dessinée pour l'occasion ?
Ça en est trop pour shox qui décide qu’un changement radical s’impose. Il propose à ses coéquipiers d’exclure Ex6TenZ pour récupérer le lead et intégrer un jeune joueur issu de LDLC.White, Alexandre “bodyy” Pianaro. Les joueurs adhèrent immédiatement, convaincus par l’intermède au lead qu’avait assuré shox durant quelques mois avant le Major, alors qu’Ex6TenZ avait perdu la confiance. Pour l’accompagner dans cette nouvelle tâche, shox accorde des responsabilités élargies à son coéquipier de toujours, SmithZz, ainsi qu’à Adil "ScreaM" Benrlitom, qui découvre de nouvelles facettes dans son jeu :
“Tout se faisait naturellement. SmithZz parlait beaucoup, moi aussi je parlais pas mal à cette époque. On aurait dit que j’étais devenu un nouveau joueur, c’était quelque chose que je n’avais pas encore découvert personnellement. Des responsabilités avaient été mises, shox était leader mais il y avait un trio shox/SmithZz et moi. [...] C’était ce trio-là qui essayait de faire du jeu.”
Adil "Scream" Benrlitom, Flickshow #33
Un partage des tâches confirmé par shox :
“Je ne suis pas un leader à 100 %. Je donne la direction stratégique générale des rounds mais je donne beaucoup de responsabilités à ScreaM et SmithZz sur et en dehors du jeu. Tout ne repose pas sur moi. Je suis celui qui a le plus de responsabilités, mais ils m’aident beaucoup.”
Richard "shox" Papillon, Interview HLTV, 14/05/2016
Ecrire la légende
Moins d’une semaine après ce changement majeur, la nouvelle composition effectue sa première apparition à la DreamHack Malmö, une sortie anonyme ponctuée de deux défaites sèches contre CLG et GODSENT. Un résultat anecdotique alors que se profilent deux compétitions majeures pour débuter l’été : les finales LAN des deux ligues en ligne, l’ESL Pro League et les ECS. A Londres, G2 débute fort les finales de la Pro League en se qualifiant directement pour les demi-finales après deux victoires contre Luminosity Gaming, tenante en titre du Major, et OpTic. Là, ils rencontrent fnatic, obligée de jouer avec wenton et l’emportent 2-1. Malgré une défaite serrée sur Inferno, G2 monte en puissance et montre de belles choses sur Cache et Train.
Arrive alors le boss final de la scène CS:GO de 2016, Luminosity Gaming. Les Brésiliens, menés par un FalleN au sommet de son art, sortent d’une MLG Colombus exceptionnelle, ravie sous le nez des locaux de Team Liquid grâce aux exploits surhumains de coldzera. Un bo5 déséquilibré sur le papier, entre des Brésiliens sur le toit du monde et des Franco-Belges qui ont encore tout à prouver. En découle un match de légende, une des plus belles finales de l’histoire de Counter-Strike, et, malgré la défaite, une performance majuscule de G2.
shox, ScreaM et RpK, un trio mythique à la base des succès de G2 en 2016 (Crédits : HLTV.org)
Avant le match, shox expliquait que le bo5 favorise LG, bien plus sereine sur son mappool.
“Le bo5 change beaucoup de choses. On est encore une nouvelle équipe avec bodyy, et on n'a pas eu le temps de préparer chaque carte comme on le voudrait. LG va avoir l’avantage des cartes, parce qu’on va être forcés de jouer des cartes faibles de notre côté.”
Richard "shox" Papillon, Interview HLTV, 14/05/2016
L’histoire lui donne raison. G2 commence fort et gagne Overpass et Cobblestone, lâchant Train aux coéquipiers de fer malgré un ScreaM impérial sur le bombsite A. À 2-1, il ne manque qu’une carte pour rafler les 200 000 $ promis aux vainqueurs. Une perspective parfaitement réaliste alors que Dust2 pointe son nez, une carte historiquement favorable aux Français. ScreaM a beau sortir ses plus beaux one-taps, rien n’y fait, le jeu structuré des Brésiliens l’emporte sur la fougue de G2. Même le clutch mythique de shox, un 1v4 qui fait dérailler Semmler, ne permet pas de maintenir l’équipe à flot. Il faudra se départager sur Inferno, carte idéale pour conclure un match déjà épique.
Là, les équipes se rendent coup pour coup, les têtes partent, les clutchs passent, et shox fait du shox. En overtime, il démontre, une énième fois, pourquoi il est un joueur à part. Seul contre 4, avec la bombe plantée sur le site le plus difficile à reprendre, il lit parfaitement le piège tendu par fer et coldzera, regroupés dans le dark, et maintient l’espoir. Un espoir de courte durée puisque les Brésiliens finissent par l’emporter 19-16, affirmant leur position de meilleure équipe du monde.
Si vous n'avez pas de frissons devant cette vidéo, faites vérifier votre pouls par un professionnel
Pour G2, ce n’est que partie remise. À la fin juin, le cinq francophone retourne à Londres pour les finales ECS, où il fait figure de favori aux côtés de LG, fnatic et TSM. Après une défaite inaugurale contre Team Liquid, G2 hausse son niveau de jeu et explose tout sur son passage : 2-0 contre NiP, 2-1 contre Team Liquid, puis 2-0 contre fnatic en demie et 2-0 contre LG en finale. G2 marche sur l’eau et termine le tournoi avec trois joueurs aux trois premières places des ratings HLTV : aux côtés d’un shox toujours affûté, RpK renaît et, surtout, ScreaM, en pleine confiance, atteint un niveau stratosphérique et termine le tournoi à 1,40 de rating moyen.
“Avec bodyy dans l’équipe, je voulais jouer différemment, je sentais qu’on devait changer les choses pour que ça marche, et on y est arrivés. Quand tu vois que les choses fonctionnent à l'entraînement, puis en officiel, puis en LAN, et que tu commences à gagner... Ta confiance s'accroît, et quand ça arrive, des joueurs comme ScreaM et moi, on en profite énormément.”
Richard "shox" Papillon, Interview TheScore, 05/07/2019
Nombreuses furent les équipes françaises qui ont su faire rêver leurs fans. De VeryGames en 2013 à EnVyUs en 2015, en passant par le premier Major gagné par Team-LDLC en 2014, la France était sans doute la deuxième meilleure nation du monde sur CS:GO. Mais cette itération avait quelque chose de différent : elle n’avait pas la finesse stratégique de l’équipe qui a renversé NiP, elle n’était pas non plus le rouleau compresseur qui a gagné Cluj-Napoca. Mais elle dégageait quelque chose auquel chaque fan pouvait s’identifier : cinq potes qui s’éclatent ensemble, qui cliquent des têtes en toute liberté sur le serveur, chacun faisant ce qui est confortable pour lui. Comme le rappelait ScreaM, le ciment de cette équipe n’était pas sa profondeur tactique ou sa structure rigide, mais plutôt la confiance, la responsabilisation de chaque joueur et la liberté d’initiative. Face aux équipes cérébrales et cadrées d’Ex6TenZ, Happy et autres NBK, shox a construit un jeu à son image : exubérant, sensible, irrationnel, spontané et spectaculaire.
“Je me sentais tout simplement bien dans cette équipe. Il y avait une très bonne confiance. Le doute est parti avec les résultats. [...] En practice, on voyait que le niveau qu’on avait était vraiment bon, tout se passait bien.”
Adil "ScreaM" Benrlitom, Flickshow #33
Le retour à la réalité
Malheureusement, la force de ce projet fait aussi sa faiblesse. Ils ne le savent pas encore mais les finales de la saison 1 des ECS, loin de marquer le début d’une belle aventure, représentent le paroxysme de l’épopée de ce cinq. Ne pouvant se reposer sur un cadre clair, les premiers accrocs au sein de l’équipe vont entraîner la chute rapide de G2. En effet, bien que montrant de belles choses ça et là, jamais ils ne retrouveront les cimes atteintes à Londres. Le premier coup d’arrêt intervient rapidement après cette victoire lors du deuxième Major de l’année, l’ESL Cologne 2016.
À l’approche du plus gros événement de la saison, G2 a le vent dans le dos. Classée 3ème meilleure équipe du monde sur HLTV, elle n'est devancée que par fnatic et SK (ex-LG), deux équipes aisément battues à Londres peu de temps avant. Malheureusement, le Major fonctionne encore sous son ancien format, avec son seeding périmé et ses poules en bo1. Et comme le sort est cruel, il propulse G2 dans la poule de la mort, avec SK, fnatic et FaZe. La pression est immense pour les trois meilleures équipes du monde, alors qu’une d’entre elles ne verra même pas la Lanxess Arena.
Hélas pour nos Français, ils font les frais de ce tirage improbable et sortent rapidement du Major, avec deux défaites en bo1 contre les deux meilleures équipes du monde, SK et fnatic. L'échec contre les Suédois laisse particulièrement amer, sachant que ScreaM continue de survoler ses matchs et que G2 battait régulièrement JW et ses coéquipiers depuis quelques mois.
Probablement le groupe le plus relevé de l'histoire des Majors. Avec des bo1.
Le sort s’acharne quelques semaines plus tard lors de la première saison de l’ELeague, nouvelle compétition en LAN et télévisée. Au terme d’une phase de poules relativement convaincante, G2 s’incline sèchement contre NiP 0-2 et se voit reversée dans un arbre de la dernière chance pour espérer accéder aux playoffs. Au premier tour, ils affrontent mousesports, une équipe à leur portée où seul NiKo surnage. Mais, au dernier moment, bodyy ne peut accompagner l’équipe à Atlanta, et celle-ci est forcée de le remplacer avec Simon "Fuks" Florysiak. Ce dernier ne démérite pas mais le handicap est trop important pour G2, qui s’incline 1-2 après 4 overtimes sur les deux dernières cartes. L’équipe part en vacances avec un sentiment d’inachevé ; aux promesses merveilleuses entrevues en mai et juin ont succédé les coups du sort et les contre-performances inattendues.
Le retour aux affaires en septembre commence par une bonne performance lors des finales de la saison 2 de la SL-i League StarSeries. Bien que le plateau soit moins relevé, G2 assure, disposant notamment de EnVy en 1/4 de finale et de Dignitas en 1/2, avant d’échouer, à nouveau, contre NiP en finale. Ce sera le dernier résultat significatif de cette composition. Derrière, G2 ne parvient pas à se qualifier pour les finales des ECS et de l’ESL Pro League, et n’atteint qu’une seule finale, lors de la modeste Northern Arena 2016 de Montréal. Si l’équipe sort régulièrement des poules, elle ne parvient plus à dépasser les 1/4 de finale. Là encore, le sort tend à s’acharner puisque lors des deux dernières grosses LAN de l’année, les IEM Oakland et l’EPICENTER Moscou, G2 affronte deux fois SK, alors la meilleure équipe du monde, en playoffs.
Sans être ridicule en LAN, la machine G2 s'est enrayée pendant l'été et les tensions internes se multiplient
(Crédits : HLTV.org)
Une fin tristement prévisible
Ces excuses ne suffiront pas à maintenir la cohésion au sein de l’équipe. Les tensions internes s’accroissent, notamment entre shox et ScreaM. Si on en croit ce dernier, on lui reproche une confiance transformée en arrogance qui pèserait sur le reste des joueurs.
“Quand tu crées une équipe, faut s’attendre à ce qu’il y ait des embrouilles, des petits clashs. On s’était trop habitués aux bons résultats mais [...] c’est dans la défaite que tu vois une vraie équipe. On avait des petits clashs, particulièrement entre shox et moi, [...] des conneries. [...] On me reprochait d’avoir trop la confiance, de trop le montrer, de penser que je suis au-dessus des autres. C’est vrai que c’est une époque où j’avais la confiance absolue, [...] c’était vraiment une belle période pour moi.”
Adil "Scream" Benrlitom, Flickshow #33
Ses efforts pour changer n’y feront rien, les contacts sont déjà pris avec les joueurs de chez EnVyUs pour un nouveau shuffle. Lors du Major Qualifier mi-décembre, la sentence tombe : le nouveau projet de shox se fera avec NBK, apEX et kennyS, seul bodyy étant conservé, ensuite rejoints par SmithZz au poste de coach. ScreaM et RpK atterrissent chez EnVyUs aux côtés d’Happy, xms et SIXER, un projet séduisant qui ne décollera jamais.
Début 2017, une énième révolution chamboule le paysage français et porte le coup de grâce à l'équipe de shox et ScreaM
(Crédits : G2 Esports)
Plus que les énièmes disputes, trahisons et autres shuffles, l’histoire retiendra surtout ces quelques mois idylliques entre la fin du printemps et le début de l’été. Un amour de vacances entre G2 et la France incarné par une équipe aussi imparfaite qu’enthousiasmante, une équipe d’exclus, de supposés has-been et de jeunes inexpérimentés. Un cocktail improbable que personne n’attendait, dans lequel personne ne croyait, et qui a fait chavirer les coeurs des fans comme rarement. Le début d’une longue aventure entre la structure d’Ocelote et la scène française, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire, où tout aura été essayé pour ranimer la flamme de 2016 sans jamais vraiment y parvenir : superteam, résurrection de gloires passées ou promotion de jeunes pousses, aucune mouture n’aura jamais vraiment réussi à dépasser le stade des promesses ni à ramener l’excitation de ces quelques mois.