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Cinq petits ninjas
À l'été 2012, cinq Suédois forment une nouvelle équipe évoluant sous le tag de ROCKSTAR. GeT_RiGhT, f0rest et Xizt sont des noms bien connus sur la scène Counter-Strike 1.6, friberg et Fifflaren ont fait les beaux jours de Counter-Strike: Source. En associant leur force sur le dernier sorti de la franchise, Counter-Strike: Global Offensive, ils vont également faire renaître une entité que beaucoup pensaient disparu à jamais, Ninjas in Pyjamas. Cette structure légendaire des années 2000 accueille les cinq nordiques et, bien qu'ils préfèrent l'AK-47 aux shurikens et ne soient pas franchement des as de l'infiltration, va leur donner un surnom tout trouvé : les ninjas.
Alors que tous les yeux des amateurs de CS se tournent vers ce nouvel opus, se questionnant sur sa capacité à fédérer une communauté jusque-là divisée entre 1.6 et Source, les ninjas vont prouver que la cohabitation peut se révéler fructueuse en dominant insolemment les premiers mois de vie de CS:GO. Leurs succès ont déjà été contés de nombreuses fois, entre leurs 87 cartes d'affilée remportées en lan, autrement dit aucune carte perdue hors-ligne entre août 2012 et avril 2013, leurs dix tournois gagnés de suite, ou la domination individuelle époustouflante de GeT_RiGhT et f0rest.
Il n'est ainsi pas étonnant que ce cinq soit cité, encore aujourd'hui, comme l'un des meilleurs de l'histoire du jeu, alors que l'ère dans laquelle il a évolué était bien moins compétitive que les suivantes. Même lorsqu'ils perdirent enfin leur invincibilité, les ninjas continuèrent de truster les trophées et les podiums. Et quand VeryGames, fnatic, Virtus.pro ou Astana Dragons multipliaient les changements, les cinq ninjas restaient ensemble, inséparables.
Jusqu'à quand cela pouvait-il durer ? La réponse est 2014. Les premières défaites étaient presque indolores tant les Suédois avaient jusque-là survolé leur sujet, mais la hausse de leur fréquence va commencer à peser sur le collectif. S'accumulent un revers en demi-finale de l'ESWC 2013, deux de suite en finale de Major, à la DH Winter 2013 et aux EMS Katowice 2014, puis une première lan finie en dehors du top 4, aux Finales ESEA XVI.
L'été arrive et l'orage gronde. NiP pense se donner une seconde chance en remportant de manière inattendue l'ESL One Cologne, son premier Major, mais cette performance restera ce qu'elle est : un miracle, au vu du déroulement des événements, sans suite. À l'automne 2014, un ESWC raté vient mettre le coup de grâce à cette line-up qui avait soufflé quelques mois plus tôt ses deux bougies. Une longévité déjà remarquable, mais Fifflaren n'avait plus le niveau. La dissolution du cinq le plus mythique de l'histoire de CS:GO débute ici.
Cinq petits ninjas avaient roulé sur le monde,
Mais les performances de l'un d'eux étaient bien moribondes
N'en resta plus que quatre.
À qui allait échoir la lourde tâche de compléter un quatuor entouré d'une aura immense ? Ce sera d'abord Maikelele qui s'y collera, pour des résultats plutôt satisfaisants : une nouvelle finale en Major, perdue contre Team-LDLC à la DH Winter 2014, un résultat exactement similaire aux X-Games, puis une victoire lors de la modeste Assembly Winter 2015. Convaincante sur le papier, la line-up rencontre pourtant des problèmes d'entente en interne. Quatre mois après son arrivée, Maikelele est écarté. Les ninjas font finalement le choix de l'international pour 2015 en recrutant le Finlandais allu. La saison sera marquée par des défaites en finale, sept en tout dont une nouvelle en Major à Katowice, et un retour du succès qui se fait attendre.
Malgré ce ralentissement, les ninjas originels veulent toujours croire en leur potentiel. À la fin de l'année, c'est donc allu qui est prié de prendre la porte. Retour à du 100 % suédois avec pyth, en charge de s'implanter durablement aux côtés des quatre historiques. Il tiendra environ un an, pas aidé au milieu par une blessure à la main, et encore moins par des résultats de plus en plus timorés. Quand NiP remet les doigts sur des trophées de prestige, comme aux IEM Oakland 2016, tout le monde est un peu surpris. Ce n'est jamais bon signe. Surtout quand l'équipe s'écroule ensuite totalement lors des qualifications pour le Major et est éliminée du plus prestigieux des circuits.
Mais le quatuor s'entête à rester ensemble et décide de se relancer en se tournant vers la jeunesse de son pays. draken débarque en mars 2017. Ça ne changera pas grand-chose à la dynamique. Le problème n'est pas le cinquième joueur, il est plus profond que ça. Les ninjas finissent par le comprendre. Le cinq de base avait tenu plus de deux ans ensemble, le quartette restant aura presque fait trois années supplémentaires. Mais il est temps pour friberg, flamboyant quelques années plus tôt mais en difficulté depuis, de laisser sa place.
Quatre petits ninjas tentaient de retrouver leur gloire d'antan,
L'un d'eux peinait à suivre le mouvement
N'en resta plus que trois.
Ancien partenaire de draken, REZ est appelé pour venir compléter la formation. Trois vieux ninjas et deux jeunes apprentis, le mélange s'annonçait explosif. Ce sera plutôt un pétard mouillé. Certes, la NiP Magic permettra à la formation de s'imposer, on ne sait comment encore une fois, aux IEM Oakland 2017, mais en dehors de cette grande victoire, pas l'ombre d'une progression à se mettre sous la dent. Le circuit Major est devenu persona non grata pour les ninjas, leur statut d'outsider dont il fallait toujours se méfier ne fait plus vraiment peur aux SK, FaZe, Astralis et autres Na'Vi qui ont pris le pouvoir.
Il faut alors se rendre à l'évidence. Le niveau de jeu de la scène a progressé, les ninjas n'ont pas réellement su s'adapter. De plus en plus souvent, le rouge remplace le vert dans les scoreboards finaux. Pour toutes ces raisons, l'organisation prend la décision début 2018 de se séparer d'un autre membre, et pas n'importe lequel : la tête. Leader quasiment unique de la line-up depuis ses débuts, Xizt fait ses valises et part explorer d'autres horizons.
Trois petits ninjas avaient de plus en plus de mal à exister sur la scène,
Pour l'un d'eux, une suite à cette aventure était devenue vaine
N'en resta plus que deux.
Coéquipiers sans interruption depuis 2009, GeT_RiGhT et f0rest apparaissent donc, presque six ans après la sortie de CS:GO et leur arrivée chez NiP, comme les deux derniers éternels. Mais s'ils comptaient sur la venue de dennis pour reconquérir les sommets, ils ont dû être bien déçus. Certes, NiP retrouvera les Majors en gagnant le Minor européen à l'été 2018, et le remplacement de draken par Lekr0 semblera idéal. Mais le reste ne suivra que difficilement. Une année terminée avec seulement deux demi-finales dans des gros tournois et une finale à la BLAST Copenhague ne peut pas être satisfaisante.
Alors les réflexions continueront. Et GeT_RiGhT deviendra, à raison vu ses performances, la nouvelle source d'interrogations. À l'approche de la trentaine, l'ancien meilleur joueur du monde ne parvient plus à faire la différence. Là où f0rest force l'admiration par son insolente capacité à se renouveler, GeT_RiGhT fait plutôt naître des sourires de nostalgie tant personne ne veut se souvenir du joueur de 2018-2019 mais plutôt de celui de 2014.
Au fil des mois de 2019, les rumeurs vont donc enfler sur sa sortie, sur le coup de canon que cela serait de voir partir le plus emblématique des ninjas, le plus émotionnel, celui qui parmi tous aura été le plus haut. La structure officialisera finalement la nouvelle d'un départ imminent en juin. GeT_RiGhT aura droit à la plus belle des ovations dans le plus beau des lieux pour jouer à Counter-Strike, la Lanxess Arena, lors de l'ESL One Cologne. Son dernier avec NiP, cinq ans après ce sacre mythique conquis en 2014.
Le 26 septembre 2019, après 2564 jours en tant que ninja, GeT_RiGhT quittait l'équipe.
Deux petits ninjas n'avaient plus grand-chose à prouver,
Légende depuis longtemps, l'un d'eux arrêta les frais
N'en resta plus qu'un.
L'ultime survivant répond donc au nom de f0rest. Et malgré ses 31 ans, impossible de dire que le vétéran aura un jour fait tache dans la composition NiP tant sa longévité paraît inextinguible. L'immense majorité des joueurs n'arrivent plus à tenir leur réputation sur le serveur à cet âge. Pas f0rest. Mais si ses statistiques demeurent impressionnantes, son équipe ne parvient toujours pas à redécoller. Le jeune Plopski, qui venait à peine de fêter ses 10 ans quand NiP opérait sa résurrection sur CS:GO en 2012, est prometteur mais manque encore d'expérience. L'expérience, twist en a, mais le sniper qui a remplacé dennis aurait dû percer en 2014 ou 2016. Aujourd'hui, son plein potentiel semble déjà derrière lui.
Voilà où en est f0rest début 2020. Dans cette line-up pas si mauvaise, mais qui ne réatteindra sans doute jamais les hauts sommets. Est-ce vraiment la peine de s'y acharner ? Le dernier ninja est peut-être fatigué, lui aussi. 15 ans de Counter-Strike au plus haut niveau, autant d'années de voyages, d'avion, de décalage horaire, ça épuise. Surtout quand, durant tout ce laps de temps, un mariage et un enfant ont fait leur apparition dans le quotidien.
Alors, que s'est-il passé dans la tête de f0rest lorsque la proposition de Dignitas est apparue ? Ne plus chercher à participer à tous les gros tournois, ne plus être tout le temps sur la route, jouer, certes pour gagner, mais surtout pour ne plus (trop) se priver d'autre chose ? Et surtout reformer, à l'identique – quatre derrière le clavier, Fifflaren en tant que coach – les anciens ninjas, qui représentent la plus belle partie de sa carrière sur Global Offensive ?
f0rest a dû longuement réfléchir. Ou peut-être que la décision finale s'est imposée naturellement. Qu'importe. Il a dit oui. Un quintet surgi d'antan reprend forme. Ce ne sera évidemment pas pareil. Parce que ça ne se déroule plus en 2012. Parce que Counter-Strike a parcouru un immense chemin depuis. Parce que ça ne se fera pas sous les couleurs de Ninjas in Pyjamas.
Parce que les ninjas, ces ninjas-là, ont définitivement rangé leurs habits de conquérants au placard.
Un petit ninja avait derrière lui une carrière bien remplie,
Pour un dernier projet en souvenir du passé, à son tour il partit
N'en resta plus... du tout.
Merci à Ap-3 pour les bannières et à Agatha Christie pour les Dix Petits Nègres.
Crédits photos : HLTV