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Blog de la rédac : Les papys de Counter-Strike

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Page 1: Les papys de Counter-Strike

À 28 et 29 ans, f0rest et Neo continuent d'étoffer leur palmarès et d'y ajouter à la fois des victoires collectives mais aussi des titres individuels de MVP. Le second est même accompagné de TaZ (30 ans) et pasha (28 ans) dans son aventure. B1ad3 pourrait aussi rejoindre tout ce beau monde, lui qui à 29 ans, 30 en novembre, dirige FlipSid3 d'une main experte et lui permet de continuer à surprendre sur la scène mondiale. Et si l'âge n'était pas réellement un facteur limitant ?

Évidemment, il est facile de prendre uniquement les exemples qui servent un argumentaire et de totalement ignorer les nombreux ratés et autres sorties dès les phases de poules des joueurs cités plus haut. Il n'empêche, s'il leur arrive naturellement de perdre, la victoire fait aussi partie de leur routine. Malgré leur âge "avancé", ils sont toujours parmi les meilleurs du monde. Et c'est une chose qui peut ne pas forcément paraître évidente quand on atteint la trentaine et qu'on est un joueur professionnel de jeu vidéo.

En effet, l'immense majorité des joueurs qui vivent de Counter-Strike aujourd'hui reste assez jeune, en tout cas bien loin de cette barrière des trente ans. Lors de la dernière DH Cluj-Napoca, en octobre 2015, 14 des 16 équipes affichaient une moyenne d'âge inférieure à 25 ans. Un chiffre qui pourrait être encore plus bas aujourd'hui en raison de la mise en retrait de nombreux "vieux" (fox, 29 ans ; gob b, 29 ans ; Zeus, 29 ans ; sgares, 28 ans…) par leurs formations et de l'arrivée sur la scène, pour les remplacer, de petits jeunes (NiKo a 19 ans, tout comme flamie, s1mple et bodyy, Magiskb0Y en a 18…).

Du haut de cette photographie, 59 ans vous contemplent. Ainsi que le trophée de la DH Bucarest, et son MVP (Neo).

Place au neuf, donc. Mais en quoi exactement la jeunesse serait un gage de performance ? En réalité, la question n'est pas vraiment de savoir en quoi un jeune joueur sera meilleur, mais en quoi un ancien sera moins bon. Car si l'on peut reprocher à celui qui arrive son inexpérience, son manque de skill ou bien de connaissances, tout cela peut s'améliorer avec le temps. C'est pour cela que l'on parle d'espoirs, de joueurs en devenir, car leur niveau ne peut qu'augmenter avec du travail et du temps. En revanche, pour le bientôt trentenaire, c'est tout l'inverse. La montre joue contre lui, et la question est alors de savoir jusqu'à quand sera-t-il capable de conserver un niveau de jeu correct. On ne parle plus d'amélioration possible, on parle de dégradation.

La porte est grande ouverte, et tout pousse à la prendre

Et il y a des raisons de penser que cette dégradation est inéluctable. Même si c'est évidemment beaucoup moins flagrant comparé au sport où il joue une énorme part, d'un point de vue d'abord purement physique : cela a été prouvé scientifiquement, les réflexes ne sont plus aussi rapides, il peut être plus compliqué de rester concentré sur une longue période, etc. Cependant, ce point peut assez vite être écarté. Évidemment, avoir de bons réflexes est toujours un plus, mais à un niveau de jeu aussi élevé que celui des pros, ce n'est pas du tout un gage de réussite. Il y a bon nombre de manières de jouer en réduisant au maximum cet aspect et en se concentrant plutôt sur son positionnement, ses déplacements, sa connaissance parfaite du jeu, etc.

D'ailleurs, il est assez courant de voir des trentenaires remporter des tournois dans un tout autre style de jeu, celui du fighting. Il n'est pas rare que les vainqueurs de l'Evo (Evolution Championship Series, LE rendez-vous des fans de Street Fighter, Tekken et autres Super Smash Bros) dépassent la barre des 27-28 ans, alors qu'on pourrait penser que ces types de combat font appel avant tout à la rapidité et aux réflexes. En un sens oui, mais la part accordée à l'intelligence de jeu et à la maîtrise quasi-parfaite de son personnage est aussi extrêmement importante. C'est la même chose sur Counter-Strike : un style de jeu plus posé et réfléchi pourra permettre de l'emporter dans bon nombre de situations, et ce malgré des réflexes moins bons qu'auparavant.

Bon, il y a peut-être certaines limites...

Mais si l'on peut contourner l'aspect physique, tout ce qui est de l'ordre pratique et psychologique peut se révéler beaucoup plus dur à encaisser. En observant son niveau de jeu baisser, naturellement, au fil des années, en voyant de plus en plus de petits jeunes le décaler sans peur ni complexes, les raisons de quitter Counter-Strike et d'aller voir ailleurs se font de plus en plus grandes pour un ancien. Surtout que dans la majorité des cas, si un joueur se pose cette question une fois qu'il approche des trente ans, c'est qu'il est une valeur sûre de la scène depuis un moment, sinon il n'aurait pas perduré autant de temps. Il y a fort à parier qu'il a connu nombre de succès et de triomphes. C'est ainsi qu'en 2005, TaZ et Neo remportaient déjà des tournois internationaux (Samsung European Championship), f0rest avait accroché une compétition à 100 000 $ à son palmarès (les World e-Sports Masters), Zeus dominait déjà la scène ukrainienne, en concurrence avec B1ad3... Se voir aujourd'hui en difficulté dès les premiers tours peut être très dur pour la confiance.

L'envie de prendre sa retraite peut donc se faire plus forte, surtout à une période de la vie où fonder une famille, trouver un emploi stable sur le long terme et tenter de sécuriser son avenir semblent être les choix les plus majoritaires dans la société actuelle, plutôt que de passer ses journées voire ses nuits devant son écran à coller des headshots. Les semaines de bootcamp passées avec ses coéquipiers peuvent donc se révéler bien moins attirantes qu'auparavant lorsqu'on atteint un certain âge.

Autant d'éléments qui ont l'air de naturellement pousser un joueur vers la sortie une fois arrivé à l'aube de la trentaine. Et pourtant, certains sont toujours là, s'accrochent, et mieux encore, continuent de gagner. Alors, comment font-ils ?

S'adapter pour durer

La première chose est la faculté d'adaptation. Que le niveau de jeu d'un joueur baisse au fil des âges est normal. Un certain lama pourrait en parler pendant des heures, mais même s'ils montrent du très beau jeu aujourd'hui, Neo et f0rest sont à des années-lumière de ce qu'ils étaient capables de faire sur 1.6. Mais les deux sont les premiers à savoir qu'ils ne ré-atteindront jamais cet incroyable état de forme. L'idée n'est donc plus d'être obligatoirement le carry de la formation, la superstar, mais d'être utile là où l'équipe en a besoin.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, le Polonais comme le Suédois manient bien souvent l'AWP, car leur line-up n'a pas de sniper attitré. Alors qu'à la base, aucun des deux n'est un virtuose du fusil vert. pasha avait déjà aussi occupé ce rôle avec brio un peu plus tôt. Dans un autre genre, markeloff est devenu un support player de qualité chez FlipSid3, laissant WorldEdit et wayLander tenir les rênes du scoreboard. Cela ne veut pas dire que l'on n'attend plus rien d'eux, et il leur arrive encore régulièrement de truster les premières places des classements individuels puisqu'évidemment, un joueur qui finira tous ses matchs en faisant du 7-22 ne sera pas le bienvenu dans une équipe avec de hautes ambitions. Simplement, leur rôle change.

Ce n'est pas parce qu'un joueur a un pic maximum de skill moins élevé qu'il devient inutile. En s'adaptant, il reste un maillon essentiel de son équipe, prouvant qu'il a toujours sa place au sein de celle-ci, dans le jeu mais aussi en dehors. En s'appuyant sur l'immense vécu qu'il possède et qui lui a fait connaître toutes les situations ou presque, il a moins de possibilité d'être surpris et déconcentré, moins de pression sur les grandes scènes, un état d'esprit qui peut ensuite toucher et rassurer tous ses coéquipiers. Ça aussi, ce sont des atouts que seule l'expérience, et donc souvent un âge relativement avancé, peuvent apporter.

ESWC 2006, f0rest, tout à droite, était déjà au top niveau. Il y a plus de 10 ans...

L'entourage, tant en jeu qu'en dehors, est aussi extrêmement important. S'il faut être amené à s'adapter, à changer de rôle, autant garder, en dehors de ça, des bases solides : NiP et Virtus.Pro en sont les meilleurs exemples, avec quatre et cinq joueurs qui évoluent ensemble depuis plus de quatre ans d'un côté, et bientôt trois de l'autre. Garder un socle solide, développer une sérénité collective et être prêt à se remettre en question en permanence permettra toujours d'avancer d'une meilleure manière, et ce d'ailleurs à n'importe quel âge.

Avoir des coéquipiers qui ont conscience de ça permet aussi de mettre en place un calendrier adapté, avec une concentration sur certains tournois, souvent les mieux dotés, pour ne pas prendre le risque de "burn-out". Si une équipe dite jeune pourra enchaîner les tournois chaque semaine d'un bout à l'autre du monde en ressentant beaucoup moins la fatigue ou la lassitude, une formation de vétérans aura plutôt tendance à se concentrer sur certains tournois plus précis, en négligeant ainsi d'autres. Il n'y a qu'à voir VP jouer n'importe comment en ESL Pro League en ligne, avant de remporter l'ELeague avec brio un mois plus tard, pour le comprendre.

Ce n'est donc pas un hasard si les équipes de "papys" sont celles qui changent le moins souvent de joueurs, d'abord car leur expérience leur a bien souvent prouvé par le passé que la stabilité était la clé, et ensuite car trouver des coéquipiers ayant conscience de tout ce qui a été évoqué plus haut, de ces changements de rôles, de ce "choix" de compétitions, n'est pas forcément chose facile. Il faut que chacun l'accepte dans la line-up pour que personne ne soit frustré, pour qu'il y ait une vraie cohésion.

En dehors du jeu, pouvoir compter sur une famille et des proches qui apportent un soutien sera aussi toujours quelque chose de bénéfique, plutôt que quelqu'un qui demandera sans cesse quand est-ce que s'arrêteront ces jeux de gamins, et que jouer aux jeux vidéo n'est pas un vrai travail. Il est parfaitement possible d'être joueur professionnel sur Counter-Strike et de développer une vie "normale" en parallèle : pasha et Zeus sont papas, TaZ est marié… Même s'il faut être prêt à moins voir sa femme ou ses enfants à cause des heures d'entraînement, des matchs, et des voyages partout dans le monde.

Avoir les épaules assez larges pour porter un bébé et Virtus.Pro n'est pas donné à tout le monde !

La motivation, clé de voûte de la longévité

La capacité d'adaptation, de remise en question, une équipe sur laquelle il est possible de s'appuyer, un bon entourage personnel, tout cela est extrêmement important, mais rien ne dépassera le dernier critère qu'il faut posséder pour perdurer le plus longtemps possible : la motivation. Il faut en vouloir encore, toujours plus. Il faut vouloir continuer à s'entraîner plusieurs heures par jour, même après avoir déjà tout gagné, tout vu, tout fait. Il faut trouver de nouveaux objectifs, de nouveaux buts, pour continuer d'avancer, pour ne pas se lasser, pour réussir à être toujours utile à l'équipe. Car tous les efforts mis en place précédemment pour garder cette place sur la scène même lorsque la trentaine débarque ne serviront à rien si la motivation n'est plus là. Surtout lorsqu'un simple regard par la fenêtre vous montrera toutes les autres choses que vous pourriez faire maintenant que vous avez déjà tout accompli en tant que compétiteur sur Counter-Strike.

Passer de l'autre côté de la barrière et devenir analyste, organisateur de tournois ou manager d'équipe, les possibilités de se reconvertir dans l'esport sont grandes, et encore plus si l'on sort de ce cadre et que l'on regarde le monde en général. Lorsque cela fait 13, 14, 15 ans voire plus que vous passez plusieurs heures par jour sur le même jeu, continuer à vouloir être joueur n'est pas donné à tout le monde. Comme pour n'importe quel sportif de haut niveau, l'esportif professionnel est forcément confronté à la lassitude à un moment donné.

Arriver à passer par-dessus et à garder cette envie de jouer n'est pas facile, et cela peut expliquer en grande partie le peu de joueurs qui sont encore présents au top niveau sur la scène une fois dépassé les 28-29 ans. En plus de tous les critères listés ici et de nombreux autres sans doute propres à chacun et différents d'un individu à l'autre, et qui montrent bien que le statut de joueur dans l'esport à haut niveau n'est pas franchement fait pour ceux qui approchent du tiers de siècle au vu des sacrifices nécessaires et des différentes conditions à cumuler pour perdurer tout en continuant à gagner.

Il arrive souvent de lire, après une défaite d'une équipe stable qui ne change pas beaucoup sa composition, qu'elle l'est un peu trop au goût de certains. Qu'après tout, les joueurs ne cherchent plus vraiment à gagner mais seulement à profiter encore tant qu'ils peuvent de leur place. Mais c'est ignorer bien des choses que de dire ça. Si des joueurs comme Neo et f0rest font encore rêver aujourd'hui, c'est avant tout car ils vivent pour Counter-Strike. Évidemment, le monde n'est pas tout rose pour autant, et bien sûr que les rentrées financières qu'apporte l'esport jouent aussi leur rôle. Mais s'ils n'étaient plus motivés par le jeu, cela ferait longtemps qu'ils seraient partis où que quelqu'un les aurait poussés vers la sortie tant leur niveau aurait baissé. Et dans tous les cas, ils ne remporteraient plus rien. Pourtant, ce n'est pas le cas. Ils sont toujours là, et continuent de gagner. Pour combien de temps encore, personne ne le sait, peut-être même pas eux.

Mais en attendant le jour où ils partiront, par choix car ils n'ont plus envie de jouer ou par obligation car leur équipe juge que leur niveau s'est trop dégradé pour encore apporter quelque chose comparé aux concurrents, notamment aux jeunes qui arrivent, en attendant ce jour-là, leur palmarès se remplit encore et toujours. Les papys ne sont pas nombreux, mais leur résistance et leur force sont réelles. Car les plus passionés, au final, ce sont peut-être bien eux.

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