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Parole d'anciens - gOrdi & lepolac (1ère partie)

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Ils ont contribué à forger des mythes. Dans l'ombre, par leur travail, ils ont permis aux HeatoN, SpawN, mSx, f0rest et bien d'autres de devenir des légendes. L'un menait alors la vie dure à son clavier en écrivant des pavés, l'autre terrorisait déjà les joueurs en administrant des tournois. Actifs il y a plus de 10 ans sur la scène CS, ils ne se sont jamais trop éloignés de leur jeu de prédilection. Retour et prise de recul sur dix années passionnantes avec Nicolas "gOrdi" Loisel, ancien rédacteur chez aAa, et Jonathan "lepolac" Skrzypek, head admin ESWC.

A vos débuts, pour s’intéresser à CS, il faut être motivé : entre les patchs à récupérer et à installer à la main, la connexion 56k et les bugs à supporter... Mais malgré ça, vous étiez plusieurs dizaines de milliers accrochés à 2h du matin sur des relay HLTV perfectibles pour suivre des matchs de CPL Winter. On est pas loin de l'addiction non ? Comment expliquez-vous "être tombé dedans" ?

gOrdi : En gros mes deux passions quand j'avais 15 ans, c'était le football et les jeux vidéo, et là CS arrive et combine le côté compétitif du football avec un jeu que j'adore, donc j'étais obligé de tomber dedans. D'ailleurs la plupart des joueurs de cette époque (et c'est toujours assez vrai) avait un background sportif, HeatoN a longtemps fait du hockey, SpawN a commencé CS car il s'était blessé en faisant du sport, etc.

Après pour le côté "difficile" de suivre les choses à l'époque, ça ne m'a jamais gêné et puis tout avait l'air exceptionnel. En 2002, on avait trois grands tournois internationaux par an, et pas grand chose d'autre. Donc regarder les matchs de la CPL à 3h du mat' avec des potes sur teamspeak/ventrilo, c'était un événement et un très gros kif. Par exemple NiP/SK.swe refusait de jouer la plupart des ligues onlines à cette époque, donc tu ne pouvais les voir jouer que lors des grands tournois et personne ne voulait rater ça.

lepolac : Effectivement on était loin de l'accessibilité d'aujourd'hui. Le jeu en lui-même me passionnait au début, je me rappelle encore passer des heures à décompiler les modèles du jeu, scruter les textures et autres éléments du jeu pour voir comment il était fait. Au-delà du jeu, le phénomène de compétition était assez nouveau et le fait de voir qu'il était possible de pratiquer un jeu à haut niveau a rapidement suscité énormément d'intérêt.

Ceci dit personnellement j'ai toujours eu du mal à suivre des matchs sur Internet, j'ai une grosse préférence pour le live (c'est aussi valable pour les sports classiques), j'irais même jusqu'à dire que je préfère voir un match d'un niveau un peu inférieur en vrai, qu'une finale internationale sur Internet. Le stress, la rage et joie de vaincre, toutes ces émotions des compétiteurs ne se ressentent vraiment que sur place, et je crois que c'est comme ça que je suis tombé dedans. Aussi étrange que cela puisse paraître, quand je lance un gros match, très souvent j'aimerais qu'il puisse y avoir deux gagnants, et suis presque déçu d'avance pour celui qui va perdre. Le côté technique et managérial qui va avec les événements m'ont également séduits. C’est pour cela que j’ai évolué à des postes très différents au fil des années.

ESWC 2006Ca, c'était Bercy, en France, ESWC 2006. Il ya 8 ans. Entendez vous encore les "BTB ! BTB !" résonner ? 
(crédit photo : ESWC) 

A cette époque, la croissance du JV et de l'esport en France est phénoménale : les cybercafés ouvrent plus vite que ne meurent les personnages de Game of Throne, Ligarena, après avoir rempli la Grande Halle de la Villette est passé à la vitesse supérieure avec l'ESWC et l'apogée de Bercy en 2006, le circuit de lans Cyberleagues fait des envieux dans toute l'Europe. Bref, grâce à quelques acteurs clefs, la France avait une certaine avance... Qu'on a bien du mal à imaginer aujourd'hui. Qu'est-ce qui s'est passé à votre avis ? Vous avez été, à votre niveau, des acteurs de cette époque. Avez vous des regrets ? Auriez-vous fait certaines choses différemment ?

gOrdi : Franchement c'est simple, le jour où Ligarena/Games-Services a fait faillite, la scène française s'est effondrée, donc en 2009. Cette organisation tenait tout à bout de bras, les équipes se battaient toute l'année en France dans le circuit Cyberleagues pour se qualifier pour l'ESWC, qui était l'objectif ultime. D'ailleurs, même si ce système avait énormément de qualités, il avait pour effet pervers d'obliger les top teams françaises (je parle de CS) de privilégier les lans françaises aux tournois européens, afin de se qualifier pour l'ESWC. Ce qui empêchait les top teams de progresser et a certainement limité la scène française en terme de niveau.

Après pour "l'avance" dont tu parles, finalement elle se résumait à Ligarena/Games-Services. Les équipes françaises (aAa, GG, emL, aT) n'ont jamais eu les moyens des grosses structures à la SK, les grosses lans n'ont jamais dépassé un niveau régional (le plus "bel" exemple étant la GA), ça restait un circuit amateur, certes géré par une organisation professionnelle.

Pas de regrets non, je n'avais pas une position où je pouvais prendre des décisions.

lepolac : C'est vrai qu'on a tendance à oublier que la France était relativement en avance, surtout quand on se surprend à jalouser la Suède. Je pense que ce côté avant-gardiste a aussi été un désavantage quelque part. Le tissus médiatique n'était pas assez solide. La crise de 2008 a été terrible pour le secteur. Les budgets marketing et communication sont les premières lignes de crédit à être coupées dans une entreprise dans les moments difficile, et le secteur esport, sans véritable business model et ultra dépendant des contrats de sponsoring, en a fait les frais.

Les acteurs de l'époque avaient déjà la bonne recette, mais c'était peut-être trop tôt. Cela me rappelle une scène de retour vers le futur ou Michael J. Fox joue un grand hit de rock'n'roll devant un public des années 50 complètement médusé, et finit par "Vos enfants vont adorer". De manière générale, l'histoire a prouvé à maintes reprises que ce ne sont pas forcément les précurseurs qui récoltent la gloire ou les bénéfices qui vont avec une découverte, mais bien souvent les successeurs apportant avec eux une nouvelle mouture et une meilleure approche. La chute ou survie des différentes organisations de l'époque s'est vraiment jouée à peu de choses. Difficile de ne pas se dire "et si..."

De manière personnelle, je ne regrette rien, ça a été une formidable aventure que je referais sans hésiter, si ce n'est que je me prends parfois à me dire que si j'avais dix ans de moins aujourd'hui avec la possibilité de m'investir aussi facilement et autant qu'à l'époque, cela m'ouvrirait dix fois plus de possibilités de carrière dans le milieu et aurait sûrement eu des retombées bien plus importantes.

lepolac, dix ans passés derrière les joueurs dans les plus grandes compétitions (en gris, au centre)

Pour qualifier notre domaine, on parle couramment de l'esport, et on voit régulièrement des intervenants invoquer ce terme. Mais si pré-2008 on avait une certaine évolution continue et groupée des différents jeux esport (CS, Quake, SC principalement), qui progressaient tous régulièrement à une vitesse comparable, on voit bien en 2010 que ce n'est plus du tout le cas. LoL et SC2 ont explosé chacun de leur côté, sans entrainer les autres titres. CS rattrape progressivement son retard alors même que SC2 stagne, voir régresse. Peut-on réellement donc parler d'une communauté esport ? Ou chaque titre devrait être pris individuellement, de la même façon qu'au final, le succès du foot n'a que peu d'impact sur celle du handball ?

gOrdi : C'est une question intéressante, chaque jeu à ses intérêts propres, son circuit de compétitions, ses règles... Il n'existe plus beaucoup de grands tournois multi-jeux. Mais après il existe beaucoup de passerelles entre les jeux, les équipes ont plusieurs sections, et puis la grande différence avec le sport traditionnel, c'est que chaque titre esport a une durée de vie limitée. Du coup tout le monde a intérêt à avoir plusieurs cordes à son arc, les casters commentent plusieurs jeux, les organisations de tournois choisissent les jeux les plus populaires... C'est pour les joueurs que c'est le plus compliqué, mais c'est également possible (BabyKnight de Dota vers SC2 vers Dota 2, Naniwa de SC2 à HoTS). Du coup il y a une espèce de grande communauté esport, qui se rassemble pour les énormes évènements (Worlds pour LoL, TI4 pour Dota 2), mais la plupart du temps elle est scindée en plusieurs petites communautés qui suivent chacune leur jeu.

lepolac : Je pense qu’il y a une communauté esportive, comme il y a une communauté sportive. Les joueurs de différents jeux ont le même sentiment d’appartenance à une communauté, que des sportifs de différentes disciplines qui se retrouvent tous ensemble aux JO. Les différents titres n’évoluent pas à la même vitesse, pour des bonnes et moins bonnes raisons, mais tout progrès contribue à l’ensemble.

Après plus de 10 ans passés dans le milieu, à quelle fréquence suivez-vous encore la scène CS ? Regardez vous les gros matchs ? Qu'est ce qui vous intéresse encore dans CS, n'êtes-vous pas lassés ?

gOrdi : J'ai suivi 1.6 à fond pratiquement jusqu'à la fin, et quand CS:GO est arrivé, au début je ne regardais que les news et quelques finales de temps en temps. Le premier majeur a vraiment relancé mon intérêt pour ce jeu, et aujourd'hui je regarde les news tous les jours, je suis les résultats des matchs, en plus les Français sont super forts, donc ça aide. Par contre, je mate assez peu de matchs, seulement les finales lan en général. Je suis un peu lassé de CS, mais bon je dois dire qu'avant j'étais vraiment un malade, du genre à mater des matchs de qualifs obscurs entre Suédois et Danois à 22h sur 1.6. Il faut dire que j'étais rédacteur, donc je voulais savoir qui était fort, et j'étais aussi un joueur, donc je voulais apprendre des trucs. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est ce qui m'a toujours intéressé : les évolutions des joueurs et des équipes (NiP vont-ils revenir ? Qui est plus fort entre LDLC et Titan ? etc). Et puis les top joueurs sortent des trucs de dingue régulièrement même si les one shot deagle me manquent beaucoup... Un dernier truc, les nouvelles maps font beaucoup de bien, j'en pouvais plus de voir inferno/d2/nuke/train.

lepolac : Je dirais que ça va et ça vient. Il m'a fallu beaucoup de temps pour m'intéresser réellement à CSGO. Je regarde encore les phases finales de gros événements quand je peux. D’ailleurs je n’ai pas suivi ou administré que CS, c’est juste qu’avec le manque de temps je me concentre (surement par fainéantise) sur ce que je connais déjà. Je pense que la seule chose dont je ne me lasserais jamais c’est un match Quake de haut niveau. J'ai moins de patience qu'avant et ai tendance à me lasser plus vite d'un match CS, c'est sûr.

Ce qui m'intéresse encore c'est la notion de professionnalisation, avec des joueurs qui sont toujours en déplacement, le tout accompagné d'une starification croissante. Les capacités d'adaptation des équipes sont intéressantes aussi, je suis bluffé de voir de nouvelles compositions évoluer au top niveau enquelques semaines, alors que ce niveau est censé être justement beaucoup plus élevé qu'il y a quelques années.

Gordi Fistor ESWC 2008gOrdi (au centre) et son acolyte FistOr en plein travail à l'ESWC 2008 (crédit photo : aAa)

Petite question au passage, si vous deviez donner votre meilleur et pire souvenir de votre activité de staff ?

gOrdi : Alors la pire c'est facile, c'était les IEM Kiev en 2011 avec FistOr, Kaoru et SarenS. Un mec du staff aAa était censé avoir réservé un appartement pour nous. On arrive en Ukraine, impossible de le joindre, on tourne en voiture dans Kiev, bloqués dans les bouchons dans le centre ville. On ne trouve pas l'appartement, l'adresse n'est pas reconnue par le GPS, SarenS manque de nous tuer en fonçant au milieu d'un carrefour... Finalement on réussit à joindre le mec du staff aAa qui nous indique une nouvelle adresse. On se pointe dans une arrière-cour glauquissime, une vieille ukrainienne qui ne parle pas un mot d'anglais me tend un portable où je parle avec une fille qui nous dit d'attendre ici, qu'une voiture va venir nous chercher pour aller à l'appartement. Là, on se regarde tous les 4, pas du tout rassurés, et on décide de se barrer. Je nous voyais déjà dormir dans la voiture à 4, mais finalement en allant au cybercafé de Kiev, un des orgas nous a trouvé un appartement.

Le meilleur souvenir, c'était l'ESWC 2008 à San Jose en Californie. J'étais avec FistOr, qui est mon "best poto4ever<3s2" dans l'esport, et même si l'événement en lui-même était pas fou, aAa nous avait donné 3 nuits de plus sur place après le tournoi car c'était moins cher, et donc on avait passé 3 jours de vacances à San Francisco avec KaRa et gladiuS. Et c'était mortel.

lepolac : Difficile à dire, en presque 14 ans dans le milieu il s’en est passé des choses. L'esport et l'événementiel en général sont des milieux très stressants et en terme d'ascenseur émotionnel vous êtes servis. Il y a eu des moments très délicats. Les critiques, même si on développe une carapace au fil des années, sont parfois dures à encaisser.

Parmi les pires moments, je dirais la première finale des Masters Français du Jeu Vidéo en 2010, tout le monde nous attendait au tournant. Au bout de 48 heures et 2 nuits blanches, le parc de 150 PC était encore sans système d'exploitation moins d'une heure avant l'arrivée des joueurs. On est passés très près de la catastrophe, et c'était toute une année d'efforts de dizaines de personnes qui étaient sur la sellette. Mais voilà, personne n'a jamais su et ces finales étaient plutôt réussies :)

Le meilleur ? Honnêtement, désolé pour la ringardise de la réponse, mais il m’est impossible de n’en sélectionner qu’un. Je vois plus un ensemble de bons moments ou d’étapes ; mes premiers gros évènements en tant que vice-président d’association où je me suis retrouvé à gérer un peu tous les aspects, mes premiers tournois internationaux, premiers tournois à l’étranger, la création des Masters, le retour de l’ESWC, certains moments de détente avec le staff ou des joueurs.

Deuxième partie à venir rapidement sur CSGO, l'esport et le futur.
En attendant, vous pouvez retrouver gOrdi et lepolac sur leurs twitter respectifs :
@nicoloisel
@lepolac

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