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L'armée des ombres : la photographe (4/4)
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Joueurs, commentateurs, analystes, tous sont présents et visibles chaque semaine ou presque dans les différentes lans à travers le monde. Mais derrière chacun de ces tournois, qui y a-t-il ? Qui sont ces hommes et femmes de l'ombre qui rendent possibles ces événements et leurs déroulements, qui proposent toujours plus de contenu, en restant derrière les projecteurs ? Que font-ils exactement ? Cette série d'interviews intitulée L'armée des ombres, en espérant que Joseph Kessel ne nous en veuille pas trop de lui emprunter le titre de son roman, vous emmène à la rencontre de quatre de ces personnages. L'esport n'est pas toujours leur gagne-pain, et c'est avant tout animés d'une sincère et profonde passion qu'ils font ça. Car si la scène vit, c'est aussi grâce à eux.
Vous avez sans doute vu son travail des dizaines de fois, mais n'avez sûrement jamais entendu son nom. Adela Sznajder est photographe dans le monde de l'esport et ses clichés sont repris un peu partout, que ce soit par les organisateurs eux-mêmes ou par des sites d'information. Zoom sur un mariage un peu particulier, celui des jeux vidéo et de la photographie.
Salut Adela, peux-tu te présenter et nous dire quel est ton rôle dans le monde des lans de Counter-Strike ? Bonjour ! Je m’appelle Adela, et je suis photographe esport indépendante basée à Varsovie. Je suis à l’origine des photos que vous pouvez voir sur Flickr, sur les réseaux sociaux et sur des supports publicitaires :) As-tu fais des études dans le domaine de la photographie, ou bien est-ce une passion qui au fur et à mesure est devenue de plus en plus importante ? Eh bien, ça commence généralement comme un hobby, même lorsqu’on choisit d’en faire des études plus tard, pas vrai ? Je me suis intéressée à la photographie quand j’étais au lycée, et j’ai même pris des cours pour approfondir le sujet, mais les études artistiques n’ont jamais été faites pour moi. En bref, oui, c’était tout d’abord un hobby, mais c’est par la suite devenu beaucoup, beaucoup plus important. Comment es-tu arrivée dans le monde de l'esport ? Tu étais passionnée de photo et tu as découvert l'esport, ou tu adorais l'esport et tu as décidé d'en faire de la photo ? Ou encore autre chose ? C’était un peu des deux. A l’époque où j’ai découvert l’esport, je connaissais et appréciais déjà la photographie, mais je ne le prenais pas vraiment au sérieux et je n’imaginais sûrement pas que ça deviendrait mon métier. En ce qui me concerne, l’association de la photographie et de l’esport est le résultat d’une série de heureux hasards : mes amis et moi avions décidé de nous rendre aux IEM Katowice 2013, puisque c’était le premier tournoi esport majeur organisé en Pologne. Alors que je faisais mes réservations pour l’hôtel et le train, j’ai décidé d’emporter mon appareil photo avec moi. Puis je me suis tout bonnement dit que quitte à faire des photos, autant qu’elles servent à quelqu’un. Alors j’ai simplement envoyé une série d’emails à tous les sites d’actualité polonais conviés à l’évènement, et d’une façon ou d’une autre, je me suis retrouvée avec une carte de presse. Ces trois jours ont été parmi les meilleurs que j’ai vécus, et j’ai vite réalisé que c’était exactement ce que je souhaitais faire par la suite. C’est à ce moment-là seulement que j’ai commencé à prendre la photographie au sérieux. Avais-tu déjà expérimenté d'autres domaines de photographie avant ça ? L'esport est-il un domaine spécial pour un photographe, avec des particularités que d'autres n'ont peut-être pas ? Pas vraiment. Comme je le disais, mon premier travail "sérieux" lié à la photographie a eu lieu lors de mon premier événement esport. Aujourd’hui, j’accepte occasionnellement des invitations à d’autres événements, comme des conférences ou des soirées, mais rien de très sérieux puisque je n’ai tout simplement pas beaucoup de temps à consacrer à ça. J’essaye également de rendre compte des événements qui ont lieu à Varsovie, comme les manifestations ou les défilés, parce que je trouve toujours ça intéressant et en général très important, mais je considère qu’il s’agit plutôt de projets personnels. L’esport est assurément un sujet de photographie inhabituel, car la photographie sportive traditionnelle, c’est-à-dire la compétition, les émotions, les équipes, ou encore les instants de victoire et de défaite, y est associée à l’environnement exigeant des festivals et des concerts : lumières, lasers, effets pyrotechniques, sans compter les foules. Certaines personnes sont parfois déconcertées quand je leur dis que j’aime photographier des hommes qui jouent à des jeux vidéos, mais ils changent généralement d’avis lorsqu’ils découvrent l’ampleur et l’atmosphère de ces tournois.
Y a-t-il un secret, un "truc" pour capter certains moments particulièrement marquants en photos, comme les winning moments ? J’aimerais bien dire que cela requiert un sixième sens que seuls moi et quelques autres possèdent, mais comme tout le reste, il s’agit surtout d’un peu de talent et de beaucoup de pratique. Il y a plein de petites astuces qui permettent de faire une bonne photo : sa connaissance du jeu, la façon dont on observe les joueurs, le fait de connaître leurs préférences et leurs petites histoires, ou encore être à l’écoute de la foule et des casters si on ne peut pas voir soi-même le jeu. Au bout d’un certain temps, on apprend à remarquer ces choses-là et à les utiliser ensemble pour obtenir des résultats surprenants. Mais ça demande beaucoup de pratique et de patience. Il m’arrive toujours de manquer certaines bonnes occasions, mais heureusement moins qu’avant. Tu te définis sur Twitter comme freelance. Comment définis-tu les événements où tu vas aller ? Tu fais des demandes d'accréditation pour chacun, ou ce sont les organisateurs qui te contactent ? La façon dont je choisis les événements où je me rends est en ce moment très simple : est-ce que je peux y aller sans que ça ne pose problème pour mon université ? Ces temps-ci, je ne me rends qu’aux événements où je suis invitée. Avec le développement de la scène, les compétitions ont désormais lieu partout à travers le monde. Être souvent en déplacement aux quatre coins de la planète n'est-il pas trop compliqué ? Comme je suis encore étudiante, je ne peux pas travailler et voyager autant que je le voudrais, mais je peux quand même affirmer que c’est effectivement compliqué et fatiguant, mais aussi très enrichissant. La plupart de ceux qui travaillent dans l’esport voyagent presque tout le temps. Ils sont sur les routes pendant deux ou trois mois, avec seulement quelques jours pour refaire leur sac et repartir. Le fonctionnement et l’organisation d’un tel mode de vie n’est pas simple, mais la plupart d’entre nous aiment simplement vivre de cette façon. De l'extérieur, on peut penser que ton travail est assez solitaire. Est-ce la réalité, ou y a-t-il des personnes que tu retrouves sur plusieurs événements, avec lesquels tu crées des liens ? "Solitaire" est probablement le dernier mot que j’utiliserais ici. À chaque événement où je me rends, soit je retrouve mes amis, soit je m’en fais de nouveaux. L’sSport rassemble des gens intéressants, passionnés et qui travaillent dur, donc il est impossible de se sentir seul. Quel lien entretiens-tu avec les joueurs, à force de les voir et d'être proches d'eux sur de nombreux événements ? Certains aiment-ils "jouer" avec l'appareil, comme on peut voir TaZ ou f0rest jouer avec la caméra quand elle est sur eux ? Ça dépend évidemment de chaque personne. Certains aiment être pris en photo, d’autres sont un peu plus timides, mais ils savent qu’être devant l’objectif fait simplement partie de leur job et que de notre côté, on essaye de les faire apparaître sous leur meilleur jour, donc on ne choisit pas des angles inhabituels et on ne les prend pas quand ils font des têtes bizarres (même si, je dois l’admettre, certaines expressions sont parfois bien drôles). On essaye également de respecter leur intimité, on ne les suit pas tout le temps et on ne les prend pas en photo quand ils sont en backstage en train de se reposer, de manger, de faire une sieste, de s'entraîner, de tweeter, ou encore de traîner avec leurs amis. Ca arrive parfois, mais toujours avec leur accord. On essaye également de rester à distance quand ils sont sur scène, pour des raisons évidentes.
Concernant l'utilisation des images, il est très compliqué de voir le droit d'auteur respecté sur internet. Est-ce que ça t'es déjà arrivé de voir des photos à toi utilisées sans même que ton nom, ou le nom de celui qui t'a engagé (ESL, DH) ne soit mentionné ? Quel est le sentiment qui domine alors : la fierté de voir son travail aimé et réutilisé, ou la frustration de se voir « voler » son travail ? C’est une question très importante, merci de l’avoir posée. Oui, évidemment, il est concrètement impossible de faire respecter les droits d’auteur sur internet. Oui, mes photos ont déjà été utilisées à mon insu plusieurs fois, et non, ce n’est pas quelque chose dont on peut être fier. Je suis toujours aussi frustrée et contrariée à chaque fois que ça m’arrive, et je me sens, eh bien, dérobée de quelque chose, en particulier dû au fait que ce sont généralement ceux qui devraient en avoir plus dans la tête qui le font, comme des journalistes ou des personnalités publiques. Je ne fais pas d’histoires quand mes photos sont utilisées et éditées par la communauté, sur reddit par exemple, parce que c’est généralement inoffensif et souvent très drôle. Je prends des photos pour qu’elles plaisent aux gens, et même si je préférerais qu’ils se souviennent de mon nom quand ils les utilisent, ça passe, je considère que c’est mon service rendu à la communauté en quelque sorte. Par contre, retrouver mes photos sur des sites et des réseaux sociaux de professionnels est vraiment exaspérant, parce que ça signifie que la personne est soit complètement incompétente, soit mal intentionnée. Je comprends qu’on ne puisse pas avoir les fonds nécessaires pour me payer pour utiliser mes clichés, mais les voler n’améliore pas les choses, ça signifie juste qu’on n’est pas digne de confiance. Croyez-moi, ce serait tellement mieux que ces personnes fassent au moins l’effort de contacter l’auteur, d’expliquer la situation et de proposer des alternatives : mettons que vous travaillez pour un site d’actualité qui vient de voir le jour et que vous ne pouvez pas me payer. Vous pouvez alors m’offrir une visibilité sur le site et permettre de faire reconnaître mon travail en écrivant un article à mon sujet ? Ou bien vous vendez des produits, et les affaires ne sont pas très bonnes, mais vous seriez heureux de m’offrir une remise en échange de mes services. Ou encore, vous n’êtes pas en mesure de faire quoi que ce soit à part indiquer mon nom sur les photos. Mais votre requête sera si aimablement formulée qu’elle fera fondre mon coeur glacial de professionnelle. Tout serait mieux que de voler, et si on n'est pas en mesure de faire tourner son business autrement, il serait peut-être mieux de ne rien faire du tout. Désolée pour ce petit coup de gueule, c’est un sujet très sensible pour moi ;) Y a-t-il une ou plusieurs lans qui t'ont particulièrement impressionné ? De par la scène, le public en folie, etc. Ça va vous sembler complètement kitsch, mais toutes les lans m’impressionnent. Évidemment, les plus grandes, comme les finales des IEM Katowice, la DreamHack Masters, l’ESL One Cologne ou encore les DreamHack Summer et Winter sont les plus impressionnantes en matière de scène, de foule et de pures émotions. Mais les plus petites s’avèrent parfois très funs, avec des ambiances électriques. Es-tu particulièrement attachée, ou fière d'une ou plusieurs photos en particulier ? De par leur contexte, ce qui s'en dégage... Je ne suis jamais vraiment satisfaite de mes photos, ce qui est probablement une bonne chose. Mais ça veut aussi dire que je vais devoir attendre un moment avant d’être en mesure de me dire "Oooh, celle là est GÉNIALE". D'un point de vue purement technique, quel(s) appareil(s) et accessoire(s) utilises-tu ? La plupart d’entre nous utilisent un appareil Canon 5dm3 et tout un tas de zooms, avec une ouverture f/2.8. C’est un modèle polyvalent qui s’adapte aux conditions de luminosité assez difficiles des lans. Je vous assure qu’il y fait sérieusement sombre. Malheureusement, tandis que l’équipement utilisé n’a pas forcément d’importance dans d’autres domaines de photographie, dans l’esport, et particulièrement quand on débute, on n’a pas le droit à l’erreur.
Aujourd'hui, arrives-tu à vivre de la photographie esportive, ou travailles-tu aussi dans d'autres domaines, que ce soit lié à la photographie ou non ? Comme n’importe quel étudiant polonais, j’ai déjà travaillé en tant que serveuse / barmaid, mais heureusement je n’ai plus besoin de faire ça. On dit souvent que le seul qui n'apparaît jamais sur les photographies, c'est le photographe lui-même. Ressens-tu parfois un certain manque de reconnaissance, ou ce n'est pas quelque chose dont tu tiens compte ? Pour dire vrai, même si je ne suis pas exactement une personnalité connue sur internet, je sens que ceux qui devraient savoir qui je suis et ce que je fais sont déjà au courant et apprécient mon travail, et c’est ce qui compte le plus. J’ai aussi été nominée pour le prix de "meilleur photographe esport de l’année", donc je ne peux pas dire qu’il y ait un manque de reconnaissance :) |
Un grand merci à Adela Sznajder pour l'interview et les photos, à Miles et Stonz pour la traduction, ainsi qu'à Elnum pour la bannière.
Crédits photos : Adela Sznajder
Vous pouvez retrouver les autres interviews de la série : l'administrateur - l'observer - l'organisateur
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Intéressant, merci pour cette interview :)
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Les questions étaient bien pertinentes, et elle a donné pas mal de détails.
GG <3