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Il était une fois CS à la télé...

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Baptiste a dix-sept ans, comme la grande majorité des jeunes de son âge, il va au lycée et prépare tranquillement son baccalauréat de fin d'année. Comme la grande majorité des jeunes de son âge, Baptiste adore les jeux vidéo et y joue de manière régulière en rentrant des cours le soir. Il s'est longtemps chamaillé l'ordinateur familial avec son grand frère mais a finalement pris le dessus laissant à son ainé le monopole de la PlayStation.

L'eSport, Baptiste connait même s'il n'en est pas vraiment conscient. Et pour cause, il sait qu'il a rendez-vous chaque vendredi soir dans son salon pour voir s'affronter quatre des meilleures équipes européennes de Counter-Strike à la télévision. Bien sûr ses parents rognent. Ils préfèrent, comme la grande majorité de la ménagère de 45 ans, leur rendez-vous avec Denis Brognard pour un épisode de Koh-Lanta assurément plein de rebondissements. Ils se rappellent encore la fois où Baptiste avait crié devant sa télévision lors de la victoire de son équipe favorite en finale de la Coupe du Monde devant un public de plusieurs milliers de personnes. 

2017 ? 2018 ?

Et bien non. Cette petite anecdote fictive s'est belle et bien déroulée en France il y a dix ans. Et certains d'entre vous s'identifieront sans problème à la vie de Baptiste. 

Dans le monde de l'audiovisuel français, c'est Game One, la chaîne thématique du groupe MTV diffusée sur le câble, bien connue des gamers et fans de mangas, qui a fait le premier pas dans le monde du sport électronique et devinez quoi, c'était en 2003. Plus particulièrement à l'occasion de la première édition d'une future fierté tricolore en matière d'événementiel, l'ESWC. Une équipe de journalistes de la chaîne s'était rendue sur place et avait réalisé un reportage d'une vingtaine de minutes sur les différentes compétitions ayant eu lieu à l'époque au Futuroscope. La facilité à trouver la vidéo complète encore aujourd'hui témoigne de sa célébrité et de son impact à l'époque. A contrario, bonne chance pour retrouver des vidéos datant de 2003 si elles n'ont pas spécialement plu au public ! 

Plusieurs personnes ont été primordiales à l'essor du sport électronique dans le paysage télévisuel francophone et en particulier sur Counter-Strike. Le premier nom qui revient est Nicolas "Incolas" Cerrato, connu pour être le boss de l'organisation Goodgame et de son cyber-café. Il est associé à quasiment toutes les productions concernant Counter-Strike diffusées sur la chaîne. Avec Tommy François, présentateur phare chez Game One et désormais employé chez Ubisoft, il s'essayera à la toute première diffusion en direct d'un match Counter-Strike à la télévision française : les Suédois de spiXel face aux Danois de The Titans, soit la surprenante grande finale de l'ESWC 2004. 

Une première historique qui a viré à la catastrophe. Difficile de combiner les restrictions imposées par une diffusion sur une chaîne nationale et un match de Counter-Strike. La méthode employée par Game One se voulait alors très pédagogue visant un public ne connaissant pas le FPS de Valve. Rajouté à cela de nombreuses pauses publicitaires, les téléspectateurs n'ont finalement assisté qu'à quelques brides du match en question. Les retours ont été très critiques comme en atteste ce topic sur le forum jeuxvideo.com (avant qu'ils ne commencent à parler des boobs des joueuses bien sûr).

Le premier plateau G1 à l'ESWC 2004 (Incolas, Tommy à gauche)

Les deux mots importants à retenir de cet épisode sont "en direct". De l'aveu même de Nicolas Cerrato qui fondera Alt-Tab Productions, société mère d'OGamingTV quelques années plus tard, Game One n'était pas prêt pour assurer la diffusion d'un match Counter-Strike en direct et qui plus est, sur place au Futurscope. Un direct coûte  en effet beaucoup plus cher que la diffusion d'une VOD en post-production. 

Des retours très mitigés, un coût financier loin d'être rentable, Game One n'abandonnera pourtant pas l'idée de retransmettre des matchs en direct. La petite douche froide de 2004 oubliée, la chaîne ne reviendra à l'ESWC, et de fait sur Counter-Strike, qu'en 2006, sautant ainsi l'édition 2005 de la Coupe du Monde. 

L'ESWC en 2006 allait être grandiose. Premier événement esport dans la prestigieuse arène de Paris-Bercy, rien que cela. Une compétition qui promet un spectacle sûrement jamais vu en France voire même en Europe. Pour marquer le coup Game One revient dans la partie avec beaucoup de contenus menant vers l'événement puis durant ce dernier, la retransmission en direct des finales dont la fameuse finale du tournoi féminin opposant les Françaises de bTb aux Suédoises de Les Seules, dans une ambiance de folie.

Après Nicolas Cerrato, un autre visage marquera l'histoire de Counter-Strike sur Game One et plus généralement à la télévision. Il s'agit de Julien Tellouck, connu du grand public pour son émission consacrée aux jeux vidéo "FunGames" diffusée sur Fun Radio. 

Il est avant tout une figure incontournable de Game One dont il est salarié depuis 2002. En 2006, il est amené à commenter aux côtés de Nicolas Cerrato, les matchs de Counter-Strike de la grande scène, y compris donc les finales. Ses premiers pas sur le FPS de Valve. Son rôle était simple, jouer le néophyte aux côtés d'un expert. Un duo mis en place afin d'équilibrer la balance entre vulgarisation et expertise. Une initiative qui apparaissait alors comme indispensable pour un public de télévision. 

L'eSport est ensuite devenu de plus en plus important pour les responsables de la chaîne. Les retransmissions de l'ESWC, c'était bien mais ce n'est qu'une fois par an. Et une fois par an, ce n'est plus assez. L'alliance de trois organismes vont mener à la création du premier tournoi Counter-Strike spécialement conçu pour une diffusion à la télévision. 

D'un côté le moyen de diffusion, Game One, de l'autre, Nicolas Cerrato, bien connu de la maison et salarié par Xfire, une plateforme concurrente de Steam et enfin, de nouveaux acteurs qui débarquent sur le petit écran : NoSide. Cette société de production montée en 2005 par Rémi "Nomalz" Sello et Morgan "Darkside" Prêleur, deux personnages connus de la communauté CS grâce notamment à leurs divers projets dont Net-G Radio, un trailer remarqué de l'ESWC 2006 ou encore des reportages pour Team aAa, va se voir confier la réalisation d'une émission d'un genre nouveau. 


Julien Tellouck lors de l'ESWC 2007

Ces trois acteurs vont reprendre un concept déjà exploité par la chaîne en 2006 nommé Game One Arena où Julien Tellouck allait chez des joueurs de PES afin de commenter des matchs. Nicolas Cerrato est chargé du marketing pour la branche européenne de Xfire et va proposer à Game One et NoSide, un projet de petits tournois hebdomadaires à quatre équipes françaises et européennes. Le directeur des programmes accepte et c'est ainsi qu'un jour de mars 2007, le "Xfire Trophy" est né ainsi que "Arena Online", l'émission dans laquelle il sera diffusé.

Le concept est simple : quatre équipes (payées 150 € pour leur participation) sont placées dans un arbre simple en BO1 et jouent l'espace d'une soirée pour la somme de 500 €. Le vainqueur remet son titre en jeu le mois suivant tandis que les deux derniers défendront leur place pour l'édition suivante face à d'autres équipes invitées. 

Les quatre matchs de chaque édition du Xfire Trophy sont ensuite résumés et montés par NoSide. Chaque partie, peu importe sa longueur, doit être écourtée afin de rentrer dans un format précis de 26 minutes. Les rounds avec peu d'impact et les rounds économiques sont ainsi de fait écartés. L'avantage de la post-production sur Counter-Strike est de connaître à l'avance le joueur qui va faire de beaux frags et les stratégies mises en place. La diffusion finale est ainsi théoriquement plus intéressante et rythmée qu'un match complet et diffusé en direct. Une fois le montage fait, Julien Tellouck et Nicolas Cerrato enregistrent ensuite leur voix par-dessus les images. Le tour est joué. 

Le résultat de ce processus est ensuite diffusé chaque vendredi à partir de 20h30 dans l'émission Arena Online sur Game One.

Et c'est ainsi que durant plus d'une année entre 2007 et 2008, les abonnés au câble ont pu découvrir Counter-Strike chaque vendredi soir en "prime time" sur Game One. Difficile de quantifier le nombre de personnes s'étant mis à jouer au jeu après avoir vu un épisode d'Arena Online mais il est certain qu'il existe une vraie génération d'"enfants" de Game One sur Counter-Strike. Combien ont déjà entendu un collègue leur parler de cette fameuse équipe aAa qui jouait à CS sur Game One ? 

Après plusieurs mois d'échauffourées avec des éditions prestigieuses ayant accueilli des équipes d'envergure mondiale comme Meet Your Makers (Le Golden5 de Neo, TaZ et compagnie) et une excursion sur CS:Source, le Xfire Trophy décide de se concentrer exclusivement sur Call Of Duty 4. Un jeu d'une importance stratégique majeure pour la plateforme. Si la compétition continuera d'exister, Game One ne suivra pas le mouvement et mettra un terme à l'émission Arena Online, en juin 2008. Pas de vraies raisons officielles. Le contrat d'un an liant les trois partis n'est pas reconduit. On peut légitimement penser aujourd'hui que ce concept n'était encore une fois pas assez rentable et l'audimat pas forcément au rendez-vous. Il est d'ailleurs à souligner qu'à échelle différente, les CGS diffusés également sur le câble ont eu la même trajectoire et se sont arrêtés en 2008. Drôle de coïncidence, ou pas pour deux concepts peut-être trop novateurs pour leur temps. 

Un exemple de ce qui était diffusé sur Game One. Ici Millenium contre Meet Your Makers. 

Cela correspond également à un changement de ligne éditoriale de la chaîne. Plus que la thématique du jeu vidéo, Game One se veut désormais résolument tourné vers les mangas et l'univers des animés. Moins cher et garantissant une audience plus fidèle. C'est pourquoi l'eSport a quasiment disparu des programmes de la chaîne jusqu'en 2013 et la création de l'émission Game One eSport. 

Avec SFR Sport, AB1, Canal+ et même BeIN qui se lancent, à peine, dans la course à l'eSport, Game One fait office de grand pionier, du moins en France. Bien que la chaîne soit désormais dépassée de tous les côtés par ses concurrents, c'est en partie grâce à elle que les premières réflexions sur comment diffuser un match de Counter-Strike à la télévision ont pu être amenées sur des bureaux de producteurs.

Bien qu'elle ne se pensait pas en avance sur son temps à l'époque selon l'aveu de Nicolas Cerrato, l'équipe ayant travaillé sur Arena Online a été visionnaire. Il suffit de prendre n'importe quelle VOD d'une émission pour s'en rendre compte. Présentation des joueurs, présentation de la carte à venir avec utilisation d'un trait afin d'expliquer de potentielles tactiques (un système repris par Valve-lui même et intégré à CS:GO en 2013 !), et même des replays.


Game One - 2007

A une époque où le streaming n'existait quasiment pas et le moyen privilégié pour regarder des matchs de Counter-Strike était des HLTV, cette émission donnait une nouvelle façon d'appréhender une partie du FPS de Valve avec des outils déjà bien développés qui donnent dorénavant la possibilité aux grands streams de faciliter la compréhension d'un match, et cela même en direct. 

Peut-on tirer des enseignements de l'émission Arena Online ? Certainement. A l'époque, la problématique était d'aider un maximum le téléspectateur à comprendre au mieux ce qui se passait devant ses yeux quite à bousculer les codes de diffusion classique d'un match CS. A la limite, peu importait l'affiche du match tant que ce dernier était bien expliqué, vulgarisé, analysé. Tout cela rendu possible grâce au fait que les matchs ne soient pas diffusés en direct et puissent passer par une étape de post-production. Il a fallu sans doute quelques heures de brainstorming pour l'équipe de Noside afin de mettre au point des outils ayant pour objectif de faciliter l'expérience du téléspectateur. Des outils qui paraissent désormais évidents mais qui ne sont pas encore la norme dans toutes les compétitions dû principalement au facteur "live". 

Avec désormais toutes les possibilités offertes par Valve sur CS:GO alliées aux nouvelles technonolgies et à la puissance financière des organisations, il paraît quand même assez effarant que la manière de suivre un match sur Counter-Strike n'est pas évoluée plus que cela hormis à quelques détails près. Faute peut-être au manque d'une réelle réflexion en la matière comme la production d'Arena Online avait pu avoir en son temps à toute proportion gardée évidemment. 

Revenir sur l'histoire liant Counter-Strike à Game One, c'est également se rendre compte que la diffusion d'un match de Counter-Strike en 2007 en prime-time un vendredi soir ne posait aucun problème. Le CSA a déconseillé Arena Online simplement au moins de dix ans. Huit ans après, il est interdit de diffuser une partie de Counter-Strike avant 22h étant donné que le contenu est désormais déconseillé au moins de dix-huit ans. En 2016, les clichés mènent encore la vie dure et la bataille pour la légitimation d'un jeu vidéo comme Counter-Strike semble encore longue et difficile. Mais c'est un autre débat. 


Morgan "Darkside" Prêleur

Rémi "Nomalz" Sello

Que sont-ils devenus ? 

Il est intéressant de noter que ces visionnaires travaillant sur le projet Arena Online en 2007/2008 ont tous connu un succès assez fantastique dans leur domaine respectif. 

La société NoSide, et notamment les deux compères Rémi "Nomalz" Sello et Morgan "Darkside" Prêleur sont devenus des références dans la production audiovisuelle. Ils sont notamment derrière plusieurs vidéos et projets de Norman, Cyprien et toute la bande de youtubeurs que l'on ne présente plus. Il n'y a qu'à visiter leur site pour comprendre le succès de leur société. Ils sont également derrière la régie de la grande scène de l'ESWC. 

Julien Tellouck est toujours chez Game One où il participe à plusieurs émissions. Il est également l'animateur de rubriques sur Fun Radio et anime également le stand de la radio au Paris Games Week. Ses 166 000 abonnés sur Twitter parlent d'eux-même. L'eSport n'est vraiment plus sa priorité bien qu'il lui arrive d'en parler dans l'émission #TeamG1. 

Après son départ de Xfire en 2009, Nicolas "Incolas" Cerrato a co-fondé Alt-Tab Productions en compagnie des célèbres commentateurs, Pomf, Thud, Chips et Noi. La société mère d'OGamingTV qu'il a quitté en 2014 pour fonder Gamoloco.com, un site recueillant et analysant des données des streams et ainsi permettre la lecture de statistiques. C'est donc le seul à être resté pleinement dans le milieu et il n'est pas rare de le voir intervenir dans des conférences ou débats focalisés sur le sport électronique. 

Source : Team-aAa.com

Photos : Lemonde.fr, ESWC, Noside 

Merci à Nicolas Cerrato

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