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Entretien avec flex0r, détecteur de talents (1/4)

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Page 1: Version française

2020 aura été une année faste pour la jeunesse française sur CS:GO. Dans le sillon de ZywOo, une nouvelle génération a émergé rapidement et a tapé dans l'oeil des fans et des grosses structures. Il y a 4 ans, ces joueurs se seraient certainement retrouvés bloqués à l'échelon inférieur, ignorés par l'aristocratie de la scène. Mais les temps et les mentalités ont changé, et en l'espace d'un an, trois nouvelles têtes ont fait leur apparition au plus haut niveau : Kévin "misutaaa" Rabier, Nabil "Nivera" Benrlintom et Jordan "Python" Munck-Foehrle.

Derrière cette génération dorée, on retrouve un homme que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. Ancien joueur majeur de la scène Counter-Strike : Source, directement responsable de la détection et de l'émergence de cette nouvelle jeunesse, Boris "flex0r" Latry a accepté de répondre à nos questions dans une interview-fleuve. Dans cette première partie, on revient sur ses premiers pas sur Counter-Strike, ses heures de gloire en 2011, sa transition retardée vers Global Offensive et sa rencontre avec celui qu'il va prendre sous son aile pendant près de 3 ans, misutaaa.

CS:Source. Titre légendaire pour les uns, jeu mineur pour les autres, nul ne peut nier l'influence décisive qu'il a eu sur l'histoire de la scène française en général. Si tout le monde connait ceux qui ont poursuivi sur Global Offensive, flex0r fut de ceux qui n'ont pas fait la transition. Pourtant, il était aux côtés de shox, apEX et autres ScreaM lors de leurs premières lans et titres. On revient avec lui sur cette époque dorée et son influence dans ses projets récents.

RegnaM, mateOo, shox et flex0r chez Creativ' en 2008

 

À tes débuts au plus haut niveau sur Source, tu jouais sous le lead d’AsP. C’est un leader qui est inconnu pour les gens qui ne suivent CS que depuis Global Offensive, comparé à d’autres anciens de Source. Comment le décrirais-tu, quel type de leader était-il, quel style de jeu cherchait-il à mettre en place ? 

Au premier abord, Laurent (AsP) était quelqu’un de très sec, très renfermé, pas dans la rigolade. Il y avait beaucoup de gens qui ne l’aimaient pas pour ça. Mais en apprenant à le connaitre, il était à l’opposé de ça. C’est quelqu’un de jovial, très drôle, qui blague tout le temps. Sur CS, il voulait un jeu très structuré, basé sur des control-maps avec des stratégies d’exécution préparées, beaucoup de calls mid-game. C’était ce qui se faisait de mieux à l’époque, et encore aujourd’hui c’est comme ça que CS se joue au meilleur niveau.

Il nous a appris à nous débrouiller sur la carte, avec des rôles importants. Lui donnait un axe au début du round et faisait des redirections en fonction du déroulement du round, avec notre aide. Donc il y avait un compromis entre un lead structuré et une liberté assez importante laissée aux joueurs partout sur la carte, notamment pour moi qui étais un sniper un peu foufou.

Il était un des précurseurs de comment se joue le vrai, bon CS : control-maps, classiques, prises d’informations. Alors c’était à un niveau rudimentaire à l’époque, mais le simple fait d’avoir ces idées suffisait à faire la différence par rapport aux autres.

Toi qui es devenu lead avec tes projets récents, tu as gardé beaucoup de choses de cette époque et de l’exemple d’AsP ?

Bien sûr. Mais pas que moi, ça a été un exemple pour toute la scène française, que ce soit moi, Ex6TenZ, krL. Par exemple, krL a joué 6 mois sous le lead d’AsP, et il s’est évidemment servi de ça. Les vrais papys du lead en France, c’était AsP et maLeK.

  AsP était un des précurseurs de comment se joue le vrai, bon CS : control-maps, classiques, prises d’informations.  
Boris "flex0r" Latry

En regardant les équipes avec lesquelles vous avez tous les deux joué entre 2008 et 2011, on y voit un jeune shox, un jeune apEX, un jeune ScreaM. Est-ce que c’était un choix conscient de sa part de jouer avec des jeunes pour les faire sortir, avec une position de formateur de la nouvelle génération ?

À l’époque, il n’y avait pas vraiment d’idée de formation à long terme dans la scène. On n’avait rien, on jouait juste pour montrer qu’on était les plus forts, il n’y avait pas d'argent de toute façon. C’était des jeunes joueurs, on était dans une équipe avec de la visibilité, donc AsP faisait le pari de les prendre et de les intégrer, plus ou moins en les formant. En bossant, normalement, on savait que ça allait marcher.

En prenant Richard au tout début avec Creativ', c’est avec nous qu’il a fait sa première LAN, la Re-SO. Plus tard, on a pris Adil (ScreaM) et Dan (apEX), c’était un pari sur la jeunesse, mais c’est surtout qu’ils étaient très forts. Et eux savaient qu'AsP et moi, avec notre expérience, on allait encadrer tout ça. D'ailleurs, tous les trois ont gagné leur première grosse LAN avec AsP et moi.

Est-ce que t’as connu d’autres leaders dans ta carrière ? 

Au tout début, quand j’ai percé sur CS:S, j’étais chez HF.Mother. On était une équipe de jeunes inconnus, sans expérience, et dès notre première lan, une PxL, on a battu quelques bonnes équipes, comme Bz. Deux mois plus tard, on avait la GA 2006, la première sur Source, c’était l’event de l’année. On y va en mix entre potes et on fait top 3, on bat tout le monde alors qu’on se faisait traiter de cheater sur le net.

Suite à cette lan, je reçois un message sur IRC de L0rd, qui était le joueur phare de CS:S, et qui me file les accès pour un channel où se retrouvaient les meilleurs joueurs. À partir de ce jour-là, je n'ai plus lâché le top. Suite à la lan, les grosses équipes ont essayé de me recruter avec un de mes coéquipiers, crZ. J’avais le choix entre H2k, lead par maLek, et ce qui deviendra plus tard D4, avec AsP. Mon premier choix, c’était de jouer avec maLek, donc j’ai snobé AsP.

Deux mois après, on fait notre première lan et on fait top 2, ce qui est un échec vu qu’on avait tous les meilleurs joueurs de la scène. Après la lan, AsP vient me voir et me relance pour son nouveau projet. C’est là que je l’ai rejoint, et je ne l’ai plus quitté, pendant 3 ans. Je n’ai pas eu d’autres leaders que Damien (maLeK), pendant 4 ou 5 mois, et Laurent.

 

Au sommet de sa gloire en 2011, flex0r disparaît soudainement des radars et rate le train de CS:GO. En cause, la nécessité d'entrer dans la "vie réelle" et un passage dans la gendarmerie, une expérience fondatrice dans sa vision de la vie et du coaching sur le jeu.

maLeK, L0rdzz, tac, Jojo et flex0r, la (très) vieille garde de CS:S s'était retrouvée à la PxL 23.

 

Pourquoi n'as-tu pas fait la transition vers CS:GO ? 

Mon pic de carrière, c’était en 2011 chez 3DMAX, lorsqu’on bat VeryGames à la MaxLan 2011. Moi, j’avais déjà 21 ans à ce moment-là. À côté, j’étais étudiant, je passais de facs en facs mais je ne travaillais pas vraiment. Sauf qu’à 21 ans, mes parents m’ont mis la pression pour que je me bouge.

Début 2011, on monte 3DMAX avec AsP, shox, apEX, ScreaM et moi. On fait l’Epsilan en mix parce que ScreaM ne pouvait pas venir, et le mois d’après on a fait la MaxLan. J’avais prévenu AsP avant la lan que, quel que soit le résultat, j’allais probablement m’arrêter et rentrer dans la vie active. Je ne voulais pas le dire aux autres pour ne pas ruiner l’atmosphère.

Résultat, avec 3 mois d'entraînement, on bat VG qui est invaincu depuis 1 an et demi. J’étais très fort, Richard (shox) était très très fort. Adil et Dan, pour ce qui était presque leur première lan, ils ont été très bons aussi. Et juste après ça, je leur ai dit “voilà, c’est brutal mais je dois arrêter, j’ai pas le choix” et ils l’ont très mal pris.

Dans le mois qui a suivi, j’ai passé et réussi le concours d’entrée dans la gendarmerie, qui est assez facile. En temps normal, il y a un délai de 6 à 9 mois avant de rentrer à l’école. Mais comme mon père connaissait quelqu’un, j’ai pu rentrer plus tôt et 1 mois après j’étais envoyé à Tulle, en Corrèze. Je suis passé de joueur CS vivant chez ses parents à Marseille à partir au fin fond de la France en école de gendarmerie.

Donc juin 2011, j’ai tout lâché et je suis parti à l’école. Je n’avais pas le choix, il fallait que je fasse quelque chose de ma vie parce qu’à l’époque, on ne gagnait pas d’argent. On jouait juste par fierté, pour être les meilleurs, pas pour l’argent, puisqu’il n’y en avait pas. Rien que la MaxLan qu’on gagne en 2011, on doit se partager 1500 € à 5.

À quel moment tu commences à reconnecter avec CS ? 

Après l’école de gendarmerie, je me suis fait muter à côté d’Agen. Dans mon unité, on avait deux appartements qu’on partageait à six jeunes, on était en colocation. Mais la connexion était pourrie, je n’avais pas mon PC, donc j’avais raccroché la souris. En plus on bossait beaucoup, je faisais des horaires très lourds. Je continuais à suivre et à aller sur VaKarM, mais je ne jouais plus. J’ai repris un PC début 2012, et on m’a proposé une PxL pour le fun. Or il se trouve que la lan tombait pile pendant une de mes permissions alors que je rentrais à Marseille, donc j’ai accepté.

C’était GMX qui m’avait contacté, et il me dit qu’il est avec un jeune qui me ressemble beaucoup, qui était encore plus fort, tout ça. Il s’appelait kennyS. Moi je ne le connaissais pas, mais apparemment ça faisait 2-3 mois qu’il jouait avec eux en pickup, ils n'étaient même pas sûrs qu’il ne trichait pas. Il m’explique qu’il est plus fort que moi au sniper, et que c’est la relève.

On joue ensemble pendant une semaine avant la LAN, et là-bas on perd en finale contre VG. Et effectivement, kennyS était vraiment pas mauvais. Après, je le ramène à la gare de Marseille, on parle pendant un bon moment et il m’explique, du haut de ses 15 ans, qu’il prenait exemple sur moi. Donc je lui ai donné quelques conseils et j’ai senti que c’était lui le futur.

Après ça, je jouais pour le fun, un pickup de temps en temps avec les potes, mais je ne pouvais pas faire plus vu mes horaires. Je jouais avec Richard, avec Dan et compagnie. J'ai fait un an comme ça et l’année qui suit, CS:GO commence à bien prendre. Moi, je suis tout ça de loin et Uzzziii me contacte pour reprendre le jeu et faire les premiers EMS sur CS:GO.

Je les préviens que je n’ai pas trop le niveau, je dois avoir 50-100 heures de jeu max sur CS:GO, mais ils me disent qu’on va s'entrainer et que ça va revenir rapidement. À ce moment-là, je suis encore dans la gendarmerie, avec une connexion wi-fi pourrie, un bureau naze, une chaise en bois, c’était terrible. C’était vraiment la première fois que je reprenais le jeu de manière compétitive. Le 1er mai 2013, c’est mes premiers matchs officiels sur CS:GO, et comme prévu, j’étais nul. Mais avec mes 70h/semaine en gendarmerie, je ne comptais pas reprendre sérieusement de toute façon, même si l’idée trottait un peu dans ma tête.

  [Avec kennyS] on parle pendant un moment et il m'explique, du haut de ses 15 ans, qu'il prenait exemple sur moi. Donc je lui ai donné quelques conseils, et j'ai senti que c'était lui le futur.
 

Donc qu’est ce qui te ramène vers le jeu ? 

En 2014, j’ai arrêté la gendarmerie, mon contrat s’est terminé en juillet et je n’ai pas voulu continuer. Je suis rentré à Marseille avec ma femme, que j'avais rencontrée là-bas. J’ai repris mes études avec un BTS Métiers des services de l’environnement. Je suis passé en alternance, je bossais une semaine sur deux en tant que responsable de secteur dans une boîte de nettoyage.

J’étais le manager général des employés du nettoyage. Ce n'était pas hyper excitant mais t’apprends la vie. Tu gères des gens qui font un métier difficile, qui sont plus âgés que toi, et c’est toi qui dois faire leur planning, vérifier leur travail. Ça m’a fait beaucoup progresser dans mes qualités de management, de contact humain et de communication en général. C'est dans cette période que j'ai commencé à reprendre le jeu.

Mais, déjà, la gendarmerie, ça m’a fait mûrir à une vitesse incroyable, j’ai pris 20 ans dans ma tête en 4 ans. Tu vis des choses incroyables, tu vois des morts, tu procèdes à des arrestations. Moi en plus j’étais à la BAC, donc beaucoup d’interventions domiciliaires, des interrogatoires, tu vois tout le côté sombre de la société, toute la détresse de ceux avec qui tu dois discuter, savoir aborder les gens. Si tu n'as pas ce genre d'expérience, tu peux passer une vie entière sans comprendre ce que vivent les gendarmes au quotidien. Rien que ça, ça m’a permis de devenir un homme et j’ai eu un déclic que peu de gens peuvent avoir, sur comment aborder la vie, comment approcher les problèmes, notamment sur CS:GO.

 

Alors qu'il recommence à s'intéresser à l'aspect compétitif de Counter-Strike, flex0r va faire une rencontre décisive pour la suite de son parcours. Un jeune adolescent, discret, timide, venu à la Gamers Assembly 2017 pour s'amuser avec une bande de potes.

krL, maLeK et flex0r à la GA 2017, trois anciens Sourceux pour trois parcours uniques sur CS:GO

 

Tu as rencontré misutaaa il y a plus de 3 ans. Comment ça s'est passé ? Est-ce que tu te rends compte immédiatement qu’il a un talent spécial, qu’il n’est pas un joueur comme les autres ? 

Donc 2014, c’est l’année où je commence à reprendre le jeu, à revenir un peu dans le circuit des pickups, sur FACEIT, pendant 2 ans. Je ne pouvais pas trop tryhard parce que j’avais l’école, le boulot et ma copine. En 2016, j’ai fini mes études et mes horaires de boulot étaient assez souples, je pouvais gérer mon planning pour libérer mes après-midi.

Là, j’ai eu plus de temps pour jouer. Dans la deuxième partie de l’année, j’ai vraiment eu envie de rejouer à un bon niveau, donc j’ai proposé aux anciens de remonter une équipe un peu sérieuse. À ce moment-là, c’était krL, HysokA, janssen et Bistoufly. Je voulais voir ce qu’on valait, et en janvier 2017, on a lancé l’équipe avec pour objectif la GA 2017.

Juste avant la lan, on écarte HysokA et Bistoufly et on recrute Jas_x et Uzzziii, qui était dispo pour la GA. La lan se passe bien, on n’est pas ridicules, on finit top 8, on bat des équipes connues, on fait des scores pas dégueus et on perd contre Epsilon (maleK, VKLL, JaCKz, LoWkii, Kan4) en lower bracket. Individuellement, j'étais pas mauvais, krL avait été bon et les autres tenaient bien la route.

Et à cette lan, il y avait un petit jeune dont on me parle, qu’on me conseille si je cherche un joueur. Je demande qui c’est et iDex me le montre du doigt : il faisait 1m40, 20kg, il avait 14 ans, alors que j’en avais 28-29 ! Je vais lui parler 5 minutes pour me présenter, parler de la lan dont il s’était fait sortir rapidement avec une équipe de potes à lui (misutaaa, LoRd, iDex, Kronic, AlexTopGoal).

Là je lui dis que si ça l’intéresse, on a une communauté où on joue tous ensemble, on fait beaucoup de pickups, s’il veut venir avec nous, utiliser notre expérience, il est le bienvenu. Il me remercie, et me promet timidement de m’ajouter sur Steam. Et effectivement, quand je rentre chez moi, il m’a ajouté, on commence à discuter et je le ramène sur le Mumble. Au début, tout le monde le trouvait assez moyen, il était skillé mais sans plus. Moi je le défendais, il avait 14 ans, il n’avait jamais joué de manière compétitive, à son âge je n'avais même pas installé CS:S. Il fallait lui apprendre les bases.

On fait 6 mois où il joue avec nous en mix et en pickup, et pendant ce temps on avait arrêté l’équipe avec krL. Donc début 2017, je me dis que ça ne sert à rien d’essayer de relancer des projets avec des vieux, je me sens capable de jouer à un bon niveau, donc je veux monter un projet avec des jeunes. J’ai déjà misutaaa qui me fait confiance, à moi de trouver 2-3 jeunes pour compléter la composition. Lui il est motivé, il veut réussir et percer. J’ai mis 3 mois pour trouver les joueurs et on a lancé ça en janvier 2018.

De base, on avait moi, misutaaa, Luigi, Slazy et Sirza. On est partis de l’ESEA Open, j’ai entamé un travail de formation sur les bases, comment réagir dans le jeu, comment réagir en dehors du jeu, comment travailler. Depuis ce moment, on ne s’est plus lâchés avec misutaaa, même si les autres ont tourné pour trouver des joueurs corrects, à même de performer.

 

Retrouvez la deuxième partie de l'entretien avec flex0r ici. On y évoque la progression de misutaaa, la découverte de Nivera et la création du projet Wonderkids.

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