Scoreboard |
Forum |
Counter-Strike pour 100 yens
Au début des années 2000, alors qu'Internet commence à se démocratiser, les jeux en réseau se popularisent. Le multijoueur prend une nouvelle dimension. Cette révolution, le Japon tarde à y participer, attaché à ses vieilles bornes d'arcade. Afin de faire évoluer les habitudes des joueurs japonais et rafler la mise sur ce marché d'avenir, Namco va imaginer un nouveau concept de cybercafé, pensé pour le jeu en réseau.
Pour porter cette offre, le studio de jeux vidéo et fabricant de matériel va s'appuyer sur un titre : Counter-Strike. Mais pas celui que le reste du monde connaît. Non, une version dérivée, conçue spécialement pour le Japon. Un objet vidéoludique improbable, qui a pourtant une place parfaitement légitime dans la dynastie CS puisque Valve a donné son accord pour son développement et sa sortie. Son nom ? Counter-Strike Neo.
"C'était l'époque des diodes, on en foutait sous tous les boutons !"
LEDZONE, pour Lan Entertainment Development Zone. Tel est le nom du cybercafé dans lequel Namco veut attirer tous les Japonais férus de jeux vidéo pour les convertir aux joies du gaming PC en ligne. Un lieu à l'esthétique rouge et noir, couplée à des dizaines de LED de couleurs variables entourant chaque ordinateur, afin d'indiquer rapidement si un poste est disponible ou si son utilisateur a besoin d'aide.
Prenez place (photo : 4Gamer)
Plusieurs employés ont participé à l'élaboration de ce concept. Peu de temps après le lancement, GameSpot était allé à la rencontre de l'un d'eux, Tetsuo Tsuchiya. Encouragé par l'entreprise à explorer le segment des jeux en réseau, qui paraissait prometteur, Tsuchiya va découvrir l'engouement naissant autour des "lans cafes" dans plusieurs autres pays. En 2002, il va voir sa direction pour lancer une initiative du même genre. Mais les pontes de la société ne saisissent pas très bien le principe : Namco possède déjà des cafés Internet au Japon, quel intérêt de refaire la même chose ? Tsuchiya n'a qu'à installer quelques jeux vidéo là-bas, cela suffira amplement.
Grossière erreur. Les cafés Internet de Namco sont faits pour tout, sauf jouer aux jeux vidéo. Les visiteurs s'y rendent pour lire des mangas, manger un bout et éventuellement surfer sur le net. Le volet informatique est secondaire, le plus important étant simplement de pouvoir feuilleter son shonen en paix. Bref, rien de compatible avec des acharnés qui passent des heures devant leur écran à poncer le multi.
Sans surprise, les premiers tests de Namco dans ces cafés Internet traditionnels ne donnent donc rien. Personne ne s'assoit pour jouer et la version originale de Counter-Strike, utilisée comme titre d'accroche, n'attire pas. Tout aurait pu s'arrêter là, mais Tsuchiya persévère. L'idée peut marcher, il faut simplement faire les choses correctement et y dédier plus de moyens.
Devant cette insistance, Namco finit par accepter l'idée d'un nouveau cybercafé, dédié aux jeux vidéo et inspiré de ce qui essaime ailleurs en Asie, comme l'expliquait Kouichirou Taninami, alors manager chez Namco et également impliqué dans le projet, lors de la Game Developers Conference (GDC) 2006 : "Paie à l'heure, fais ce que tu veux. Boissons gratuites. Tu peux même dormir sur les chaises rembourrées si tu veux, c'est moins cher qu'à l'hôtel. Les gens vivent là-bas. Et à Taipei, à Hong Kong ou en Corée, ce sont LES lieux de la culture vidéoludique PC." Les défenseurs de LEDZONE finissent pas obtenir leur lieu rêvé, avec de jolies lumières de partout et des machines consacrées aux jeux vidéo – qui tournent sous Linux !
Un set-up de qualité
Il leur faut maintenant des titres attractifs, pour convaincre les joueurs de venir s'installer devant ces PC. Malgré l'échec initial, Tsuchiya et Taninami croient toujours au potentiel de Counter-Strike, dont la popularité n'est plus à démontrer ailleurs dans le monde. De toute façon, ils n'ont pas le budget pour développer un nouveau jeu. Et s'il suffisait de retoucher CS pour qu'il plaise davantage aux Japonais ?
Les employés de Namco vont donc aller demander à Valve l'autorisation d'aller quelque peu modifier l'une de ses licences phares. Dans l'avion qui les mène vers Seattle, les concepteurs de LEDZONE révisent leurs deux principaux arguments.
Primo : le marché japonais est minuscule pour Valve. L'éditeur américain n'a aucun intérêt à y consacrer des ressources et du temps. Autant laisser Namco, un grand groupe d'origine locale connaissant parfaitement le milieu, gérer l'essor de Counter-Strike dans la péninsule.
Deuxio : le piratage est un vrai fléau en Asie. Même avec l'arrivée récente de Steam, censé améliorer la situation, les copies illégales circulent massivement et privent Valve d'une belle partie des revenus. Avec son système de cybercafé dédié où tout est sous contrôle, Namco propose de régler le problème et de maximiser la monétisation de CS.
Un atterrissage, une escapade à Bellevue et quelques poignées de main plus tard, Valve accepte l'offre de Namco. La firme japonaise a les mains libres pour donner vie à sa version de Counter-Strike, jouable dans les cybercafés LEDZONE. "Scott Lynch [l'un des dirigeants de Valve] est un fan de SoulCalibur [jeu vidéo de combat développé par Namco]. Ça nous a certainement aidés", glissera Tetsuo Tsuchiya à GameSpot.
C'est Counter-Strike. Mais pas vraiment. Mais quand même, si.
Si la sauce CS n'a jamais pris au Japon, c'est parce que le jeu n'est pas du tout adapté à la culture du coin. "Counter-Strike était considéré comme trop violent pour les standards japonais. Des hommes musclés et cagoulés affichant une tête sinistre n'ont tout simplement pas leur place dans la culture du kawaii et de la mignonnerie", relate le site csneo.net, consacré à cet opus. Et puis la thématique du terrorisme n'est pas non plus porteuse à l'Extrême-Orient.
Il faut donc tout changer. Exit nos bons vieux terros et CT combattant sur des maps reprenant les textures d'Half-Life. Namco va taper dans l'esthétique des animes, du futur, des cyborgs. Deux nouvelles factions s'affrontent, dans un climat de guerre homme-machine : les CSF (Cosmopolitanism Special Forces), en attaque, des soldats humains aux jolis uniformes et aux bottes remontant jusque sous le genou ; les Neo, en défense – qui donneront leur nom au jeu –, des humanoïdes masqués aux armures en PVC. Quelques phrases radio iconiques disparaissent également des oreilles des joueurs : pas de "terrorists win" ou de "bomb has been planted", mais une voix féminine réalisant des annonces plus sobres. En se basant sur le logiciel de création de maps made in Valve, Hammer, Namco va aussi concevoir de nouvelles cartes adaptées à cet univers. Enfin, toute l'interface est traduite en japonais.
Le saviez-vous ? La légende polonaise NEO tire son nom de cet opus (bien sûr que non)
À l'exception de ces modifications fort mineures... c'est bel et bien Counter-Strike. Avec ses deux équipes de cinq qui s'affrontent, sa bombe à poser, son argent à gérer et ses ennemis à headshoter. Afin de contrer l'aspect répétitif du jeu – tirer sur les mêmes ennemis round après round, ça peut être lassant, redoute Namco –, des mini-jeux, des modes alternatifs au sempiternel defuse et des missions à réaliser en solo vont tout de même être ajoutés.
Counter-Strike Neo est donc un hybride, à mi-chemin entre la version originale de CS et un délire roboto-dystopique. Dans le code, le mélange est encore plus savoureux. Sur le site original du titre, la section FAQ indiquait que Neo était "basé sur Counter-Strike: Condition Zero", tout en "reprenant les mécaniques de Counter-Strike 1.5-1.6", avec quelques modèles d'armes et animations provenant de Counter-Strike: Source, alors en développement. Cerise sur le gâteau, en fouillant plus en profondeur dans les fichiers, la chaîne YouTube ESCalation a même trouvé un format de texture utilisé par Counter-Strike Xbox, sorti fin 2003.
Namco possède maintenant un beau jeu adapté au marché japonais, accessible uniquement dans ses cybercafés LEDZONE. Prochaine étape : concrétiser tout ce potentiel.
Les néophytes sont nos amis
Pour séduire les clients, Namco a bien compris que des néons colorés et des personnages futuristes ne suffiraient pas. Le grand défi est de convaincre une population majoritairement néophyte, qui va se faire poutrer encore et encore à ses débuts sur ce jeu si complexe à prendre en main, de s'accrocher et de revenir claquer son salaire ou son argent de poche.
La solution peut prendre des formes assez basiques. Les Japonais ne sont pas familiers du setup clavier-souris dans les jeux vidéo ? Les périphériques mis à disposition facilitent la prise en main, avec des touches colorées ou agrémentées de stickers indiquant les actions auxquelles elles correspondent. Ils ne connaissent rien au principe de CS ? Un tutoriel les attend lorsqu'ils débutent le jeu. Quid du risque de triche, qui peut ruiner l'expérience des débutants ? L'accès aux PC est restreint au minimum, pour faire en sorte qu'à part Counter-Strike Neo, pas grand-chose ne soit accessible. Et l'équilibrage des équipes ? Il est impossible de changer de camp une fois la partie débutée, pour que tout le monde ne se précipite pas dans l'équipe qui gagne lorsqu'il y a à peine 2-0.
Namco ne s'arrête pas là et va déployer tout un système valorisant la progression. Lors de sa conférence à la GDC 2006, Taninami indiquait s'être inspiré des salons de go, un jeu de plateau millénaire assez populaire au Japon. Là-bas, chaque visiteur est évalué et acquiert un rang. Lorsqu'il revient, il est dirigé vers un autre joueur de son calibre, afin que chacun puisse affronter des adversaires d'un niveau équivalent, ce qui évite les matchs à sens unique sans intérêt. "Si vous êtes tués dix fois et que vous ne faites que deux frags, vous ne revenez pas", explique simplement Taninami.
LEDZONE va reprendre ce principe : chaque joueur possède sa propre carte numérique qu'il scanne avant de s'installer sur un ordinateur. Ses statistiques en jeu sont ensuite analysées pour déterminer son niveau et faire en sorte qu'il tombe contre des opposants similaires. Dix ans plus tard, Valve puis FACEIT appliqueront la même formule sur CS:GO via les ranks du MatchMaking, faisant naître toute une génération d'adeptes du Global Elite et autres "Road to LVL 10".
"Vous avez la carte de fidélité ?"
Namco ne va cesser d'optimiser ce système, toujours avec cette même idée en tête : offrir l'expérience la plus qualitative possible pour que les joueurs reviennent et remettent une pièce dans la machine. Pour décourager les comportements néfastes, Counter-Strike Neo est par exemple capable de détecter les teamkills et les campeurs (comment était-on censé défendre ?), qui reçoivent des avertissements. À l'inverse, il est possible de recommander un joueur – un autre élément repris par Valve dans CS:GO – et même de lui donner de l'argent en jeu grâce à un bouton "Good Job" présent sur tous les claviers. Quant au personnel du cybercafé, il est chargé d'identifier les joueurs les plus forts et les plus coopératifs, pour les envoyer auprès des débutants afin que ces derniers profitent de leurs conseils et s'améliorent.
En récoltant les données de chaque match disputé, Namco est aussi capable de savoir quelles sont les maps les plus appréciées, les plus détestées, quelles armes sont peu achetées, etc. Counter-Strike Neo reçoit ainsi régulièrement des mises à jour et sera une fois de plus précurseur sur le Dynamic weapon pricing – changer le prix des armes selon qu'elles soient ou non beaucoup utilisées –, que Valve tentera d'implanter en 2006 sur CS:Source, avant de se raviser face à la grogne de la communauté.
S'ajoutent enfin des événements saisonniers spécifiques permettant aux joueurs de gagner des lots. Les Opérations de l'époque, en quelque sorte, afin d'étendre la durée de vie du jeu et le maintenir dans un dynamisme constant. Une approche commune aujourd'hui, au travers des multiples mises à jour et autres Season Pass dont bénéficient certains des plus gros titres multijoueurs, mais qui était encore peu courante à l'époque.
Le média japonais 4Gamer, qui a réalisé à l'époque plusieurs interviews des concepteurs de LEDZONE, évoquait alors une "nouvelle façon de jouer", parlant d'un "jeu universel qui ne s'use pas", à l'image de ce que pouvaient déjà être le billard, les fléchettes ou le shogi (variante japonaise des échecs). "C'est peut-être quelque chose que les jeux de combat n'ont jamais pu atteindre", concluait-il en référence au type de jeu le plus répandu dans les salles d'arcade traditionnelles.
Les affaires sont les affaires
Petit à petit, Namco va réussir à bâtir des communautés de joueurs fidèles dans plusieurs LEDZONE, ce qui débouchera sur la création de clans et l'organisation de wars entre les différentes équipes formées. Des qualifications pour les WCG et le circuit CPL auront même lieu dans ces cybercafés.
Toujours plus de monde que pour la Pro League à Malte
Cet aspect communautaire, l'éditeur japonais le surveille très attentivement. D'un côté, il doit exister car il attire et fidélise les visiteurs. Les joueurs doivent sentir qu'ils font partie d'un tout, que ceux à côté d'eux partagent la même passion. Les PC sont d'ailleurs volontairement dépourvus de casques – assez fou quand on connaît l'importance du son dans Counter-Strike – après que Tsuchiya a constaté, lors d'une visite dans un cybercafé de Hong Kong ayant fait de même, que l'ambiance s'en retrouvait décuplée.
D'un autre côté, le volet communautaire doit rester cantonné à LEDZONE. Si les joueurs deviennent amis en dehors du jeu, ils n'auront plus besoin de venir – et donc de dépenser de l'argent – pour se voir, et ne rapporteront plus rien. Taninami parle de maintenir une communauté "slow-burning", "à petit feu", qui ne fait pas de vagues et respecte ce qu'on attend d'elle : payer ses heures de jeu, encore et encore.
Il ne faut pas se leurrer. Derrière l'expérience de jeu, l'accompagnement "noob-friendly" et l'émulation collective, il y a la multinationale. Namco est là pour gagner de l'argent. Les premiers LEDZONE sont installés dans des endroits stratégiques, par exemple à côté d'écoles d'ingénieurs ou de centres d'arcade déjà reconnus, pour attirer au plus vite la clientèle masculine ciblée. Cette même clientèle masculine qui sera peut-être tentée de dépenser davantage si ce sont des filles qui les accueillent à l'entrée. Une idée là encore piquée à Hong Kong. Tout est fait pour que la dépense aille ensuite crescendo : les deux premières heures de jeu coûtent 100 yens (environ 0,75 € à l'époque), puis le tarif passe à 300 yens (environ 2€25) la demi-heure.
Dans toutes leurs interviews, Taninami et Tsuchiya s'expriment avant tout comme des businessman cherchant à exploiter un nouveau marché juteux. Il faut "trouver des moyens d'augmenter la dépense moyenne des clients", faire en sorte que les joueurs finissent par "insérer négligemment 100 yens" pour relancer un match. Tsuchiya estime que les plus accros peuvent dilapider jusqu'à 60 000 yens par mois (environ 445 €) dans LEDZONE. Et c'est tant mieux.
Kouichirou Taninami et Tetsuo Tsuchiya (photo : 4gamer)
L'équation est donc simple : plus il y a de joueurs, plus ils dépensent, plus la communauté se densifie, plus elle attire d'autres joueurs, qui dépensent à leur tour. LEDZONE gagne en notoriété, ce qui lui permet de s'implanter ailleurs, où de nouveaux joueurs viennent, de nouvelles communautés se forment, et le cycle se répète jusqu'à ce que les actionnaires de Namco puissent nager dans leur piscine de billets.
Tsuchiya invoque la loi de Metcalfe pour justifier le bien-fondé économique d'un tel fonctionnement. Du nom de l'ingénieur américain l'ayant édictée lors du déploiement du protocole Ethernet, elle argue que "l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs". En gros, plus il y a d'utilisateurs, plus le réseau s'avère pertinent et gagne en valeur. Donc plus il y a de joueurs de Counter-Strike Neo, plus LEDZONE est amenée à devenir une marque qui pèse dans l'industrie vidéoludique nationale. Et plus Namco y gagnera gros, le tout en s'évitant de coûteux frais de développement de nouveaux titres, puisque tout reposera sur les mises à jour régulières de Neo.
Retour à la réalité
Évidemment, si Counter-Strike Neo et LEDZONE sont aujourd'hui complètement tombés dans l'oubli, c'est que tout ne s'est pas passé comme prévu. Namco et ses deux champions se montraient sacrément optimistes concernant la croissance de leur concept. À terme, l'objectif était d'ouvrir 1 000 cybercafés, dont une majorité fonctionnant sous licence donnée à des opérateurs externes, afin que Namco n'ait plus à prendre en charge les importants frais d'infrastructure et se contente de vendre Counter-Strike Neo et ses contenus.
Selon Tsuchiya, la barre à franchir était fixée à 10 000 yens de revenu quotidien par PC (environ 75 €) : face à cette somme, les salles d'arcade traditionnelles auraient toutes voulu effectuer la transition vers LEDZONE. D'après GameSpot, Namco aurait même été prête à faire fuiter volontairement certains chiffres de vente pour influencer la vieille garde et la pousser à adopter ces ordinateurs entourés de leds bariolées.
Tout cela n'est bien entendu pas arrivé. Le 1er février 2010, les serveurs de Counter-Strike Neo ont cessé leur activité, privant les joueurs japonais de leur version de CS, à moins d'être assez déterminé pour monter une lan.
Adieu, Counter-Strike Neo
S'il est encore possible de retrouver des informations sur les débuts de LEDZONE et Neo, notamment via de vieilles interviews de Taninami et Tsuchiya datant de 2003 et 2004, il s'avère bien plus complexe de savoir ce qu'il s'est passé ensuite. Le temps de la promotion initiale terminée, l'aventure s'est poursuivie plus discrètement.
Selon la base de données Moby Games, Counter-Strike Neo a reçu une mise à jour majeure en 2005, qui a coïncidé avec une amélioration des PC faisant tourner le titre, ainsi que l'ouverture du jeu à d'autres cybercafés que ceux estampillés LEDZONE. Un changement de stratégie majeur de la part de Namco, qui se justifie sans doute par des résultats moins bons que prévu dans les premières boutiques ouvertes depuis 2003, malgré la naissance avérée de communautés fidèles dans plusieurs d'entre elles. Ensuite, à l'exception de la conférence de Taninami à la GDC 2006, difficile d'en savoir plus, jusqu'à la fermeture.
Peut-être qu'il était trop compliqué de bouleverser les habitudes de joueurs préférant leurs bornes d'arcade, leurs sticks, Street Fighter et Dance Dance Revolution. Peut-être que Namco a eu les yeux plus gros que le ventre en voulant mettre en place un système aussi massif, reposant à la fois sur un lieu physique et un jeu vidéo lié – surtout que de plus en plus de personnes commençaient à avoir accès à Internet chez elles et n'avaient plus nécessairement envie de devoir se rendre dans un cybercafé –, malgré quelques idées indéniablement bonnes et avant-gardistes concernant l'accompagnement des nouveaux joueurs ou les mises à jour récurrentes. Peut-être qu'un modèle économique se basant presque entièrement sur le fait de payer encore et encore pour jouer à un unique titre, même mis à jour, n'était pas très opportun. Peut-être que Counter-Strike Neo est arrivé 15 ans trop tôt, dans un pays longtemps resté réticent aux FPS mais qui s'est récemment pris d'amour pour Valorant.
Ou peut-être que ce n'était pas un si bon jeu que ça, tout simplement.
Cette histoire pourrait se terminer ici, mais il convient cependant de faire un petit détour avant de conclure. Derrière cette étrangeté qu'est Neo se cache en effet une chose encore plus décalée, encore plus unique dans la galaxie Counter-Strike : White Memories.
"Nous écrivons des choses éternelles"
Counter-Strike Neo: White Memories, dans son appellation complète, est une visual novel sortie en 2005, éditée par Namco et développée par le studio spécialisé Romancework. Elle figurait dans la grosse mise à jour parue cette même année et proposait de suivre l'histoire de trois membres des CSF – Sho, Oumar et Reonof – partis à la recherche d'une civile amnésique, Maki. Tout ça se passe dans le monde futuriste servant de base au multijoueur, où des soldats humains, les CSF, combattent les humanoïdes créées par la multinationale Neo, qui mène des expériences pas nettes ayant notamment entraîné la collision d'un astéroïde avec la Lune et des dérèglements climatiques massifs sur Terre.
Les larmes viennent toutes seules
On parle là toujours d'un jeu Counter-Strike ! Un tel univers, même s'il fait penser à une bonne vieille série B des années 1990, n'avait jamais été développé dans la série. CS est un jeu, depuis sa création, purement dédié à l'affrontement multijoueur. Il n'a jamais été question de scénario, de personnages, de lore. Il y a juste des terroristes voulant faire exploser ce qui leur passe sous le coude et des anti-terroristes chargés de les empêcher. Mais tout cela est un prétexte à la confrontation, rien de plus. Tout le monde se fiche de connaître la vie poignante du terroriste moustachu, on veut simplement vanner celui qui se retrouvera avec parce que sa tête est rigolote.
Les rares informations que l'on possède sur l'emplacement des cartes ou, depuis la mise à jour des agents sur CS:GO, le passif de ces derniers, demeurent parcellaires et peu intéressantes. Valve avait essayé d'aller un peu plus loin il y a fort longtemps, lors de la réalisation de Condition Zero, avant d'abandonner l'ambition initiale de concevoir un jeu davantage tourné vers le solo – qui reste tout de même visible à travers les Deleted Scenes.
Avec White Memories, Namco prend le chemin inverse et déploie sa diégèse, ses protagonistes et leurs péripéties. Indispensable pour bâtir une visual novel, un type de jeu reposant énormément, parfois exclusivement, sur l'aspect narratif.
Mais alors pourquoi emprunter cette voie, si éloignée de celle de Counter-Strike ? Parce que le Japon est le pays des visual novels. Une fois de plus, Namco a opéré une refonte totale de CS pour l'adapter au marché local. Un joueur initialement peu attiré par les FPS sera plus susceptible d'accrocher à Neo si le jeu lui est introduit par une histoire qui le touche et des héros auxquels il s'attache. Parce que White Memories, ce n'est pratiquement que ça : 12 épisodes ne contenant qu'un nombre très restreint de scènes de tir, au profit de pavés de texte regorgeant d'interactions sociales, de sentiments, d'introspection intérieure et de retournements de situation scénaristiques.
Counter-Strike Neo: White Memories apparaît donc comme un ovni tant sur le fond que sur la forme. Il représente l'ultime tentative d'un éditeur prêt à tout pour faire vivre CS au Japon, quitte à travestir complètement son matériau de base. Namco a échoué dans sa mission mais sa prise de risque a donné naissance à un objet profondément singulier, qui aide à comprendre pourquoi Counter-Strike n'a jamais eu besoin de scénario : ses histoires les plus intéressantes s'écrivent dans notre monde.
Merci à Elnum pour la bannière