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Ces structures que l'inflation a tuées

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L'explosion de l'esport a entraîné une inflation des frais pour les structures professionnelles. Les équipes coûtent de plus en plus cher, principalement en raison des salaires (très) élevés des joueurs et d'un staff toujours plus large à rémunérer. La course en avant est tellement exigeante que le droit à l'erreur devient quasiment inexistant. Au moindre pépin, certaines organisations se retrouvent à sec et ne peuvent plus suivre.

Si quelques-unes se contentent alors de soutenir des formations d'un moindre calibre, aux frais plus réduits, ou d'effectuer des pauses régulières le temps de renflouer leurs caisses, d'autres prennent en revanche la décision de tout arrêter définitivement voire, dans le pire des cas, de mettre la clé sous la porte, comme North l'a fait tout récemment.

Ce phénomène est sans aucun doute appelé à gagner du terrain si l'esport continue sur la voie dans laquelle il s'est engagé. Les noms des structures sacrifiées sur l'autel de l'hypercroissance devraient se multiplier à l'avenir. En attendant, en voilà déjà six qui n'ont plus pu lutter dans ce marché où l'argent est brûlé aussi vite qu'il tombe des poches des investisseurs.

 


VeryGames

Sept ans après sa fermeture, nul doute que le nom de VeryGames fait encore battre un peu plus vite le cœur de nombreux supporters dès qu'il est évoqué. Mythique organisation de la scène française apparue en 2008, elle hébergea la meilleure équipe de l'histoire de CS:Source (Ex6TenZ, NBK, RpK, shox, SmithZz en 2011) et fut dans le top 3 mondial durant la première année et demie de vie de CS:GO. VG aura été l'une des premières à succomber à la montée en puissance de la scène compétitive. Elle fut pourtant l'une des seules à donner un salaire à ses joueurs sur CS:S, et même si ce dernier ne permettait pas de vivre, le geste restait fort.

Mais à l'aube de 2014, les frais à engager pour assurer le suivi de sa line-up s'envolent. L'association ne peut plus suivre. "Aux prémices de la professionalisation dans l'eSport, VeryGames n'est peut-être pas la société la mieux placée dans cette course", écrivait-on à l'époque dans l'article annonçant cette triste nouvelle.

L'unique raison de la fin de Team VeryGames est le manque de moyens financiers. Une saison complète demandait jusqu'à cette année plusieurs dizaines de milliers d'euros pour être bouclée. Pour 2014, les ambitions de l'équipe triplent ce besoin, et l’association Team VeryGames ne sera pas en mesure de le couvrir. Nous n'avons pas pu, ou pas su, évoluer suffisamment rapidement pour cela.

Djo, président de Team VeryGames

L'association Team VeryGames ferme ses portes le 31 décembre 2013. Elles n'ont jamais rouvert depuis. L'entreprise continue de son côté de faire de la location de serveurs sur divers jeux vidéo et logiciels, mais son logo ne s'affichera plus jamais sur un maillot.

 

Titan

Pour prendre le relais de VeryGames et accueillir le cinq (Ex6TenZ, NBK, shox, SmithZz, ScreaM) qui cherchait sa nouvelle maison, une organisation basée à Singapour va brandir des contrats alléchants : Titan. 800 euros par mois et par joueur, une somme dérisoire aujourd'hui, Byzance il y a sept ans.

Fondée par Damien Grust, un investisseur et riche homme d'affaires belge, Titan fait passer un cap à la scène française et à ses joueurs. Gaming house à Bruxelles, rémunération fixe, sur le papier, tout est réuni pour que le tag s'installe durablement dans le paysage compétitif.

En réalité, rien ne va se passer comme prévu. Sur le serveur d'abord, à cause de résultats de plus en plus décevants qui feront peu à peu sortir Titan du top mondial. En coulisses ensuite, avec le VAC BAN de KQLY qui va instantanément refroidir les quelques sponsors avec lesquels la structure négociait. Les soutiens lâchent l'affaire, les comptes en banque se vident. "Notre budget de 2015 est parti en fumée d’un jour à l’autre", regrette Damien Grust. Il remet la main à la poche pour redonner des ressources au projet, mais cela ne suffit plus. Titan survit encore un an avant de devoir abandonner.

Nous avons demandé conseil auprès d’agences et d’avocats pour éventuellement vendre des parts de la structure ou renaître dans une autre. Mais aucun de ces scénarios ne s’est réalisé avec aucun des partenaires potentiels avec lesquels nous avons parlé.

Voilà où nous en sommes, débutant 2016 avec un budget si bas que nous ne pouvons pas payer ni notre équipe CS:GO ni notre merveilleux staff. Cela est déprimant.

Damien Grust, fondateur et PDG de Titan

Titan paie le prix d'une suite de circonstances défavorables au moment où l'esport amorçait son ascension, mais aussi peut-être d'un modèle économique qui reposait un peu trop sur les finances personnelles de son fondateur. Un dernier "merci pour tout" apparaît sur Twitter comme l'ultime battement de cœur de l'organisation. Date du décès, 13 janvier 2016.

 

CPH Wolves

Elle arrivait, s'en allait, repartait, faisait demi-tour. Et puis un jour, CPH Wolves a arrêté de regarder par-dessus son épaule et a marché tout droit vers le cimetière. C'était le 6 janvier 2016, lorsque les créateurs de l'organisation danoise reconnaissaient qu'il leur était devenu impossible de suivre le rythme. "Il est devenu clair que Copenhagen Wolves n'a plus ni les ressources, ni le temps pour porter ce projet", regrettaient les joueurs de l'époque.

La structure avait été créée sept ans plus tôt et s'était taillée une place de choix sur la scène danoise. Si elle participa à trois Majors sur CS:GO en 2013 et 2014, elle se construisit surtout une réputation de centre de formation d'excellence, voyant défiler en son sein tous les grands noms, ou presque, de son pays : dupreeh, device, gla1ve, Xyp9x, FeTiSh, cajunb, Kjaerbye, aizy, valde, wantz...

Ce fut une belle aventure qui commença en 2009 dans un cybercafé à Copenhague et ce furent les plus beaux et plus durs moments de ma vie. Nous avons commencé avec les meilleures intentions à un moment où le fait de gagner sa vie avec l'esport était reservé à un petit groupe. Les premiers événements étaient financés de notre propre poche et nous nous y rendions avec beaucoup trop de monde dans la voiture de mes parents. Si vous m'aviez dit à l'époque à quel point les Copenhagen Wolves deviendraient aussi importants, j'aurais ri et vous aurais traité de fou.

Jakob Lund Kristensen, fondateur et copropriétaire de CPH Wolves

Les années passant, supporter les joueurs, tant financièrement que logistiquement, devenait de plus en plus complexe, avec la croissance du nombre de tournois et la professionnalisation galopante. Les fondateurs peinaient ainsi à combiner leur quotidien et la gestion de CPH Wolves, puisqu'il leur aurait fallu... pouvoir vivre de cette seconde activité, ce qui nécessitait évidemment des moyens importants que la structure n'avait pas. Ne restait donc plus qu'à mettre un terme à tout ça.

La possibilité de se faire reprendre par un acheteur externe avait été évoquée, mais puisque toujours personne ne s'est montré intéressé bientôt cinq ans plus tard, supposons que CPH Wolves appartient bel et bien au passé.

 

North

Dans cette liste, North est peut-être le cas le plus inattendu. Ici, pas d'association créée par des potes qui se sont retrouvés dépassés lorsqu'il a fallu monter en grade, pas de fortune personnelle investie dans un projet un peu dingo. Non, North dépendait directement du FC Copenhague, le plus grand club de football du Danemark, rien que ça.

Un propriétaire de poids qui n'a pourtant pas pu faire grand-chose lorsque la Covid-19 a toqué à la porte. Les revenus du club s'en retrouvent largement impactés, tout comme ceux de North, dont la visibilité, déjà pas bien haute en raison de quatre ans de résultats mitigés, ne fait que se boucher un peu plus. Et moins de visibilité, les sponsors, source principale de revenus des équipes esportives, n'aiment pas trop ça.

Fin 2020, l'organisation avait déjà annoncé un changement de stratégie économique afin de limiter la casse : tant pis pour les trophées de prestige, elle se focaliserait désormais sur la formation des jeunes talents, moins coûteux à entretenir et au potentiel de vente intéressant. Une tactique déjà adoptée avec succès par une autre structure danoise, CPH Flames, qui a réussi à récupérer sur la seule année dernière les fruits des ventes de TeSeS (à Heroic), Farlig (à GODSENT), puis même de sa line-up entière (à x6tence) afin de réaliser un joli petit bénéfice sans avoir à dépenser des mille et des cents.

Ce revirement n'aura pas fait long feu. Le 5 février 2021, North met fin à toutes ses activités.

Nous avons exploré le marché pour convaincre un ou plusieurs co-investisseurs, mais n'avons malheureusement pas trouvé le bon deal. Cela demanderait un investissement significatif et continu pour créer un business durable à l'avenir.

Lars Bo Jeppesen, président de North

Une victime de la Covid-19 donc, mais aussi de quatre ans d'errance stratégique qui ne lui auront pas permis de construire un modèle financier stable, et ce malgré le support de sponsors non endémiques de qualité, comme le groupe français de services numériques Capgemini. Un comble, pour l'une des seules structures de la scène qui était adossée à un acteur majeur d'un autre secteur d'activité (pas si éloigné que ça, certes). Une marque d'inquiétude aussi, peut-être, pour l'esport.

 

Windigo

Entre 2017 et 2019, Windigo a fait les grandes heures de la scène bulgare, avant de quelque peu s'internationaliser en recrutant des joueurs de diverses nationalités, dont hAdji pendant un temps. Si la structure ukrainienne n'a jamais réussi à se hisser dans le top mondial, elle s'est affirmée comme une valeur sûre de l'échelon inférieur, s'incrustant de temps en temps dans les plus grands tournois et réussissant de jolies performances.

Windigo a ainsi disputé deux Minors européens, trois saisons d'ESL Pro League, et a réussi à remporter des sommes rondelettes. Lors du Moche XL Esport 2019, elle s'impose et repart du Portugal avec un chèque de 40 000 $. Surtout, en gagnant les Finales mondiales WESG 2018, à la compétitivité relative mais au cashprize démentiel, l'organisation casse la banque chinoise et met la main sur un demi-million de dollars. De quoi assurer ses arrières.

Petit problème toutefois, l'argent... n'arrive pas. Les délais de paiement des cashprizes restent un sujet sensible dans l'esport et certains organisateurs ne se privent pas de verser leurs dus de longs mois après la compétition. Windigo s'impatiente, les joueurs, à qui la majeure partie du prix revient, aussi. Les WESG et la Moche XL assurent que les virements sont partis mais qu'ils ont été refusés par l'établissement bancaire abritant les comptes de Windigo. La situation s'enlise, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus tenable. La structure bulgare annonce le 31 octobre 2019 qu'elle est en manque de liquidités et ne peut plus continuer à gérer son équipe sans cet apport de cashprize. La line-up avait de toute façon déjà compris qu'il n'y avait pas d'issue et plusieurs joueurs étaient sur le départ.

Windigo arrête ses activités dans la foulée et disparaît. Six mois plus tard, l'un des anciens copropriétaires, Artur Yermolayev, apporte enfin une conclusion à l'histoire en déclarant que les cashprizes ont finalement été reçus et transférés aux joueurs. Trop tard cependant pour inverser la situation et faire revivre la structure.

 

n!faculty

Entre CS:GO et League of Legends, il fallait choisir. n!faculty a décidé d'abandonner le premier, après plus de dix ans de présence sur la scène Counter-Strike. D'origine allemande, la structure a dû faire face à ce dilemme début 2014, alors qu'elle possédait pourtant une line-up danoise prometteuse construite autour de gla1ve, qui avait participé au premier Major de l'histoire lors de la DH Winter 2013 et s'apprêtait à réitérer cette performance aux EMS Katowice 2014.

L'assise financière que nécessite la gestion de plusieurs équipes sur différents jeux aura stoppé ce bel élan. Le budget de l'organisation ne lui permet pas de continuer à soutenir deux formations, alors que les besoins économiques augmentent. L'équipe CS:GO est donc priée d'aller voir ailleurs, même si n!faculty assure que CS restera un titre sur lequel elle s'engagera à niveau amateur.

Durant les derniers mois, nous avons fait de notre mieux pour posséder une base financière nous permettant de garder une équipe de classe mondiale. Ces derniers jours, nous avons reçu les décisions finales de sponsors potentiels et avons finalement pu boucler notre budget pour 2014.

En raison de nos fortes attentes, nous avons dû trancher entre nos équipes de LoL et CS:GO. Parce que League of Legends est devenu le premier titre d'esport avec une communauté massive, qui répond à nos attentes, nous avons décidé de faire une pause concernant CS:GO et son aspect professionnel.

Christian Kresse, PDG de n!faculty

Cette pause n'aura pas de fin. n!faculty ne reviendra jamais sur Counter-Strike et l'Allemagne pourra pleurer l'une de ses organisations historiques. Un an plus tard, début 2015, la formation LoL quitte à son tour le navire, pas aidée durant sa dernière année par un management devenu chaotique en interne. Pendant deux ans, la communication officielle de la structure se contentera de relayer diverses annonces ayant trait à l'esport et au jeu vidéo, sans jamais clarifier sa situation, jusqu'à ce que le community manager en ait un peu marre et s'en aille, ne laissant derrière lui que des réseaux sociaux désertés, un site web disparu et une histoire sans réel point final, si ce n'est celui du regret.

 


Évidemment, l'explosion des frais des organisations n'explique pas toujours à elle seule la disparition de ces structures. Modèles économiques initiaux bancals, gestion financière loin d'être optimale, stratégies de développement ratées, statut peu adapté à un tel développement, certaines y ont mis du leur. Mais il est indéniable que la rapidité avec laquelle la scène évolue et l'inflation des coûts de développement ont, si ce n'est généré, au moins accéléré leur disparition. L'esport est devenu un secteur marchand où posséder le sens des affaires n'est plus une option.

Si la professionnalisation de l'écosystème Counter-Strike est une bonne chose dans l'absolu, puisqu'elle permet aux joueurs de vivre de leur passion et aux spectateurs de bénéficier d'un spectacle de meilleure qualité, la fulgurance avec laquelle elle a lieu fait forcément des malheureux. Il ne faut pas l'oublier, alors que les investisseurs regardent et encouragent la bulle à poursuivre sa croissance.

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